Je suis récemment tombé sur un article de journal en ligne que vous pouvez retrouver ici disant que l’Australie allait planter 1 milliard d’arbres d’ici à 2050 suite aux températures records enregistrées dans le pays durant leur été 2018-2019. L’article présente une photo d’illustration de plantation d’arbres et tous les internautes qui laissaient des commentaires semblaient ravis de cette décision. Il faut bien comprendre qu’une plantation d’arbres n’a, une nouvelle fois, rien de naturel et le but premier de cette opération est surtout de produire du bois quelques dizaines d’année après la plantation. Alors, bonne ou mauvaise idée ? Réel pas en avant contre les problèmes environnementaux ou green washing ?

Planter 1 milliard d’arbres d’ici à 2050 en Australie
1 milliard d’arbres, ça fait beaucoup, mais pas tant que ça lorsque l’on apprend qu’il y a 3.04 billons d’arbres sur la planète (je n’ai pas vérifié les chiffres cités dans les articles de journaux). Cela équivaut à 3000 milliards d’arbres, et si 1 milliard de secondes équivaut environ à 32 ans, 3000 milliards de secondes équivaut à 95 siècles, pour vous donner un ordre de grandeur. D’après les journaux, cette plantation permettrait d’absorber 18 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an, encore une fois, cela a l’air énorme. Mais il est également dit que l’Australie produit 500 millions de tonnes de CO2 par an. Cette « forêt », une fois plantée en 2050, absorbera 3.6% des émissions de CO2 de ce pays, si elles n’augmentent pas d’ici là. Pour rappel, en 2018, les émissions de CO2 ont été les plus hautes jamais enregistrées avec 37.1 milliards de tonnes. Cette plantation permettra donc d’absorber 0.05% des émissions mondiales, si elles se stabilisent. Bon, ce n’est pas une révolution en terme de climat à première vue mais regardons de plus près les avantages qu’offrent les arbres et les forêts.
Les arbres et leurs bienfaits
Les arbres ont pourtant énormément d’avantages et leur efficacité à lutter contre le réchauffement climatique n’est plus à prouver. Tout d’abord, les arbres réduisent la chaleur en ombrageant le sol. Cela a l’air de rien, pourtant l’impact des arbres en région urbaine est immense car ils luttent contre les ilots de chaleur des zones très goudronnées qui absorbent l’énergie solaire et la restituent pendant la nuit. Ce mécanisme est aussi à l’œuvre dans la nature. De plus, les arbres possédant certaines propriétés dépolluantes sont d’autant plus appréciés en ville.
Comme toutes les plantes, les arbres transpirent via leurs feuilles et ce phénomène, ajouté à l’ombrage qu’ils génèrent, permet de garder une certaine humidité à leur base. C’est pour cela qu’il fait humide en forêt, le soleil étant filtré par la couronne des arbres l’eau s’évapore moins vite. Cela permet l’implantation de tout un tas d’espèces qui poussent à même l’écorce comme des mousses ou des lichens, mais ils servent aussi d’habitat ou d’aires de repos pour des insectes, des pollinisateurs, des oiseaux etc.
Enfin, les arbres font de la photosynthèse. Ils captent donc le carbone atmosphérique et rejettent du dioxygène, que nous respirons. Ce carbone est stocké dans les tissus de la plante et lui permet de grandir. Tant qu’elle grandit, elle stocke du carbone puisé dans l’atmosphère pour créer de nouvelles feuilles/branches, en revanche, quand elle meurt et qu’elle est dégradée ou brûlée, ce carbone repart dans l’atmosphère !
La plantation d’arbres, une solution?
Mais alors, si les arbres ont autant de bienfaits et de bénéfices pour lutter contre le réchauffement climatique, pourquoi cette plantation serait une mauvaise idée ?
Et bien encore une fois, on parle bien d’une « plantation » d’arbres et non d’une « reforestation » naturelle des écosystèmes. Une plantation de deux-trois espèces productives (peut être même exotiques!), bien rangées en ligne et organisées en carrés kilométriques afin de faciliter les traitements, les entretiens et la coupe lorsqu’ils seront jugés plus assez productifs, ce n’est pas une reforestation écologique d’un habitat naturel ! En fait, cela ressemble beaucoup plus à un champ de blé en monoculture qu’à une forêt naturelle. Et nous avons déjà vu plusieurs fois dans les articles publiés sur ce site que les grands champs en monoculture représentent un désastre écologique.
En effet, ce type de plantation sera entretenue, très probablement taillée, et traitée pour éviter les parasites et les maladies qui prolifèrent dans les milieux où la biodiversité est très faible. Cela devrait donc engendrer un bon paquet de pollution… Une forêt naturelle comporte des dizaines d’espèces d’arbres différents, des arbustes et des petites plantes poussant à même le sol, on appelle ça des « strates » de végétation. Plus il y a d’espèces différentes, plus des insectes et d’autres animaux pourront venir trouver refuge ou se nourrir des espèces qui y vivent, et donc plus la biodiversité sera élevée et l’écosystème résilient.
Cette plantation n’a donc rien de naturel et même s’il y aura un effet positif sur le captage du carbone et sur le réchauffement climatique (minime, mais positif), l’effet sur la biodiversité sera nulle voire négatif, suivant les pratiques employées (pesticides, entretiens intempestifs, introduction d’espèces exotiques potentiellement invasives etc.).
En conclusion
Nous avons là une bonne nouvelle mais à relativiser avec les urgences actuelles. Le réchauffement climatique est terrible, mais la perte en biodiversité est bien plus inquiétante et urgente comme vous pouvez le voir dans le schémas ci-dessous ! Les autorités pourraient mettre en place une reforestation plus naturelle (bien que le terme même de « reforestation » signifie déjà une intervention de l’homme qui reste discutable), où l’on planterait des espèces locales un peu aléatoirement et où on laisserait l’écosystème se mettre en place doucement, en laissant passer les différentes étapes de la succession écologique et sans vouloir impérativement des retombées économiques à court terme à la clé. Couper des arbres exploités au bout de 30 ans de croissance pour les vendre, ça rapporte de l’argent, c’est certain. Mais combien la perte de biodiversité et le changement climatique va coûter dans le futur si nous ne faisons rien aujourd’hui ? Ce genre de mesure complète permettrait de lutter à la fois contre le réchauffement climatique mais aussi contre la perte en biodiversité ! Pourquoi vouloir lutter (mal) contre l’un et sacrifier l’autre alors que les deux sont plus que compatibles ?

Planetary boundaries according to Rockström et al. 2009 and Steffen et al. 2015.[
Il faut rester attentif à ce type de « green washing » et bien comprendre tous les enjeux de la situation. Bien évidemment, planter des arbres, c’est mieux que de ne rien faire, c’est certain. Mais planter des arbres, qui vont puiser du CO2 dans l’atmosphère en le stockant, pour ensuite les bruler (bois de chauffe, industrie en tout genre etc.) et relâcher le CO2 qui a été capté pendant les décennies où ils ont poussé, ça n’a aucun sens et ça ne fait pas beaucoup avancer le problème (je ne sais pas ce que compte faire l’Australie de ce bois, ce n’est qu’un exemple pour montrer qu’il faut rester attentif). Si nous souhaitons réellement contrer la perte de biodiversité et le réchauffement climatique il faut entreprendre des actions beaucoup plus ambitieuses et intelligentes que celle-là. Encore une fois, des solutions existent, il faut juste que les décideurs aient la volonté de les mettre en pratique.
Quelques articles pour terminer
- Konbini : https://news.konbini.com/planete/laustralie-va-planter-un-milliard-darbres-pour-lutter-contre-le-rechauffement-climatique/?utm_source=konbini_fb&utm_medium=social&utm_campaign=socialflow#post-content
- Consoglobe : https://www.consoglobe.com/rechauffement-climatique-australie-planter-un-milliard-arbres-cg
- La biodiversité va mal, en quoi cela nous concerne tous ?
- Comprendre l’effondrement de la biodiversité en 3 articles
Ping : Les grands défis pour lutter contre le changement climatique – Le manifeste des scientifiques | PhagoPhytos
Bonjour,
Je découvre votre blog et y trouve des articles très bien argumentés!
Concernant la replantation de forêts/d’arbres, je suis tombée dernièrement sur une vidéo présentant la méthode Miyawaki (arbres plantés très serrés sur une petite superficie mais beaucoup d’espèces différentes). Il est à noter que l’objectif de ce genre de projet est à l’opposé de toute exploitation humaine, que ce soit pour le bois ou les fruits.
J’aurais bien aimé avoir votre avis sur la viabilité de ce type de projet sur le long terme, tant dans les espaces publics que dans une jardin privé.
Bonne journée
Bonjour et merci pour votre commentaire,
Je ne connais pas cette méthode exactement et je suis loin d’être un spécialiste des méthodes de culture d’arbres ou de reforestation, néanmoins voici quelques idées clés à garder en tête.
– Les techniques de re-naturalisation ont un effet mitigé et très dépendant du contexte. Si possible, il vaut mieux laisser faire les choses afin de laisser aux écosystèmes le temps de refaire leurs successions écologiques qui a un peu un effet cicatrisant. Cela signifie qu’il n’est probablement pas une excellente idée de planter dés le début des arbres très résilients dont la stratégie de vie est de croître lentement, mais sûrement (le chêne chez nous). Il se fera rapidement dépasser par les espèces plus rapides mais moins résilientes (ce qui est tout à fait normal dans une succession écologique). En revanche, lorsque la zone est trop perturbée, il est évidemment intéressant de booster un peu le système en apportant artificiellement des essences d’arbres. Néanmoins, en moyenne, je suis plutôt partisan de la « non intervention », on prend déjà assez de place sur les aires naturelles et en laisser certaines « à l’abandon » est une excellente chose pour la biodiversité invisible (décomposeurs, bactéries etc.).
– Les forêts naturelles sont extrêmement riches en biodiversité car elles ne sont pas complètement homogènes. Outre les différentes espèces d’arbres, il y a aussi des chablis où des herbacées peuvent pousser, des arbres morts à décomposer, des zones plus ou moins lumineuses, plus ou moins denses etc. Tout ce panel de micro-climat ou micro-conditions environnementales maintient la diversité élevée. Il n’y a pas que des espèces d’arbres en forêts et même si elles sont dominantes par l’impact direct qu’elles ont sur leur milieu (quoique …), la taille ou la superficie, elles ne le sont clairement pas en nombre d’individus.
– Enfin pour terminer, il est extrêmement important de réfléchir aux espèces que l’on souhaite implanter. Prendre des espèces indigènes, c’est bien, encore faut-il que les graines que l’on sème proviennent de la région. En effet, planter des variétés de chêne plus résistantes, plus florifère ou je ne sais quoi ne va pas aider les écosystèmes En revanche implanter des espèces indigènes issues de populations locales reste la technique la plus proche de ce qu’il se passe dans la nature. Vous avez probablement déjà vu ces sachets de graines de fleurs des champs qui font des fleurs doubles, beaucoup plus grosses ou de couleurs anormales en comparaison aux espèces sauvages. On s’éloigne là des phénotypes sauvages parfaitement calibrés pour la survie et les fonctions qu’ils remplissent pour des phénotypes cultivés calibrés plutôt pour leur beauté, leur productivité, leur résistance, bref, des trucs qui nous arrangent.
Je serais très heureux de discuter plus longuement de ce sujet avec vous si vous le souhaitez ! Désolé pour la longueur de la réponse.
Bonne continuation,
Arthur