L’infrastructure écologique, ou infrastructure verte, est un concept relativement récent qui propose d’intégrer de nombreux aspects dans l’identification des zones les plus intéressantes à protéger pour conserver une nature diversifiée, connectée (au sens écologique hein) et fonctionnelle. Ce terme est davantage employé dans les milieux urbains où les espaces naturels de qualité sont assez rares et où les usages du sol entrent parfois en conflit. Nous allons voir dans cet article les définitions associées au concept d’infrastructure écologique et les méthodes les plus intéressantes pour l’identifier et conserver efficacement la nature.
Cet article est la première partie d’une série visant à expliquer et vulgariser ma thèse de doctorat que j’ai préparée aux Conservatoire et Jardin botaniques de la ville de Genève avec l’Université de la même ville, et que j’ai soutenue en Juillet 2022. L’entièreté de ma thèse (en anglais) est disponible gratuitement ici : https://archive-ouverte.unige.ch/unige:164478?fbclid=IwAR1tGQFsv27j66PlgjMkpQ_naeYOqTA-7WLX8uxpsUgjGUH8BB7bM-1iJBM.
Pour ce premier article je vais me baser sur les parties introductives de ma thèse ainsi que sur un article (Honeck, Sanguet et al, 2020) qui a été publié et qui est disponible ici : https://link.springer.com/article/10.1007/s42452-020-03575-4. Vous pouvez le consulter pour avoir accès aux sources de ce travail et vous pouvez aussi me contacter pour plus d’informations. Cet article sera complété par une vidéo où je présenterai les grandes lignes du sujet.
Contact : phagophytos@gmail.com

La biodiversité est en danger
Je sais que je répète cette phrase quasiment à tous les articles de ce site, mais la biodiversité va mal. Pour rappel, la biodiversité ne se résume pas seulement à l’ensemble des espèces de la planète, mais représente aussi la variabilité de leurs gènes & populations ainsi que les différents habitats et écosystèmes qui les hébergent, leurs intéractions et fonctions. Tous ces aspects traversent actuellement une crise et déclinent rapidement. Sans vouloir vous assommer avec des chiffres, il est important de se rappeler que :
- 4 vertébrés sur 10 ont déjà disparu depuis les années 70, ce qui signifie que là où vous pouviez observer 100 animaux il y a une cinquantaine d’année, il n’y en a aujourd’hui plus que 60.
- Il y a deux fois moins d’insectes aujourd’hui qu’il y a quelques décennies, et cela se voit par exemple dans la baisse drastique de la quantité d’insectes écrasés sur les parebrises de voiture après un long trajet.
- La richesse en espèce indigène a en moyenne baissé de 14%, les espèces disparaissent, migrent ou sont remplacées par des espèces exotiques.
- Une espèce sur sept est menacée d’extinction, ce qui correspond à environ 1 million d’espèces décrites.
- Les espèces semblent s’éteindre à un rythme 100 à 10’000 fois supérieur que le rythme « normal » et ce taux est comparable à celui mesuré au moment de la disparition des dinosaures : en d’autres mots, la météorite, c’est nous.
- Environ une espèce de cactus sur trois est menacée d’extinction dans la nature, presque une orchidée sur deux, et une plante carnivore sur quatre, on en parlait déjà dans cet article.
Pourquoi la biodiversité disparaît ? À cause de nos activités et de notre mode de vie. Plus précisément, les changements d’utilisation des sols (déforestation, urbanisation, agriculture intensive), l’exploitation intensive des ressources (surpêche, braconnage), le changement climatique (qui est une cause de déclin chaque année plus importante), toutes les formes de pollution (pesticides, plastiques etc.) et enfin les espèces exotiques envahissantes qui remplacent les espèces locales, sont les principales causes du déclin de la biodiversité. Il est important de noter que ces causes ont augmenté drastiquement ces dernières décennies avec la croissance de notre production et de notre consommation (PIB), de la population mondiale, des échanges et du commerce international, ou encore des innovations technologiques. Par conséquent, le mode de vie dominant à l’échelle mondiale est la cause directe du déclin de la biodiversité et rien n’indique actuellement que nous changerons de direction dans les prochaines années.

Pourquoi protéger la biodiversité ?
Il y a déjà eu des extinctions de masse dans l’histoire de la vie de la Terre, alors finalement, à quoi bon s’embêter à protéger la biodiversité aujourd’hui si nous pensons qu’elle pourra retrouver un niveau correct dans le futur ? On entend beaucoup ce type de raisonnement et il y a plusieurs choses à considérer.
- Toutes les extinctions passées, ou presque, sont exogènes, c’est-à-dire qu’elles ont eu lieu à cause d’éléments qui ne dépendaient pas des organismes qui vivaient alors sur la planète (volcanisme, météorites etc.). Dans notre situation, nous avons un cas d’extermination bien connue de ce qui nous entoure, ce qui est assez inédit et bien différent d’une situation « incontrôlable ».
- Nous affectons notre environnement sur le long terme via le CO2 que nous rejetons dans l’atmosphère et ses conséquences, ou encore via la pollution des sols (plastique, pesticide et autres joyeusetés). Rien ne nous indique, pour l’instant, que ces perturbations vont s’arrêter. On est donc loin d’un évènement ponctuel du type tombé de météorite (même si ce sont ses conséquences qui sont en fait les causes principales des extinctions passées). Cet « empoisonnement » répété des milieux naturels avec des molécules anthropiques est là encore bien différent de ce que l’on pourrait observer naturellement.
- L’évolution est longue, très longue et il faudra des millions, des dizaines de millions d’années après la fin de nos perturbations pour que la biodiversité commence à ré-augmenter et que de nouvelles espèces ne remplacent les anciennes, disparues. Souhaitons nous réellement vivre dans un monde sans insecte, sans fleur, sans oiseau et sans mammifère sous prétexte que la biodiversité rebondira dans des temps infiniment grand dont personne ne peut décemment imaginer l’étendu ? Souhaitons-nous réellement nous octroyer le droit de vie et de mort sur des milliards d’individus jusqu’à la disparition complète d’espèces qui existaient depuis des millions d’années et qui avaient un rôle dans l’équilibre naturel des écosystèmes ? Ce sont ce genre de questions morales et éthiques qu’il faut se poser.
Il faut savoir qu’une biodiversité élevée a aussi de nombreux avantages pour notre propre survie et nous dépendons directement du reste du vivant à bien des égards. Tout d’abord, le fonctionnement des écosystèmes est directement lié aux espèces qui les composent. Si vous en enlevez une, c’est toute une cascade d’intéractions qui peut disparaître ou être chamboulée et avec elle la capacité des habitats à stocker efficacement les ressources (CO2 par exemple), décomposer des nutriments, produire de la biomasse (donc grandir et se reproduire) etc. On voit déjà les résultats de fonctions disparues des écosystèmes, comme par exemple la prédation des herbivores par les grands carnivores (type loup, renard, lynx, ours) et les dégâts occasionnés par l’abondance d’herbivores qui ne sont plus mangés, notamment sur les milieux agricoles (je pense notamment aux sangliers), mais aussi dans les forêts où l’abondance des herbivores empêchent parfois les plantules de pousser et donc la régénération de la forêt. Ces fonctions écosystémiques sont la base d’un concept qui permet de lier le fonctionnement des écosystèmes et nos sociétés : les services écosystémiques, que l’on appelle maintenant les « contributions de la nature ». Nous avions déjà abordé les services écosystémiques et leur rôle dans la protection de la nature ici. En résumé, ils regroupent tous les services mis à disposition gratuitement par la nature pour assurer le bon fonctionnement de nos sociétés, de notre économie ainsi que notre bien-être. Par exemple : la pollinisation des fruits et légumes que nous mangeons, le stockage du CO2 atmosphérique ou encore le maintien des sols par les forêts, la dégradation et l’assimilation des nutriments, la production de ressources comme du bois, mais aussi la beauté des paysages et la spiritualité.
Protéger de larges zones encore naturelles et peu impactées par les activités humaines permet aussi de se prévenir contre la propagation de zoonoses, maladies animales qui se transmettent à l’homme lorsque l’on empiète un peu trop sur le territoire d’autres espèces, ce qui est toujours la cause la plus probable de l’épidémie de COVID19. En effet, 70% des maladies émergentes et quasiment toutes les pandémies connues dans l’histoire de l’humanité sont issues de zoonoses. Enfin, et pour terminer ce chapitre, il est intéressant de renaturaliser des zones perturbées dans les milieux urbains afin de profiter des services écosystémiques rendus par ces zones et pour aider à supporter le changement climatique en ville (nature-based solutions) mais aussi car la proximité d’aires naturelles augmentent le sentiment de bien-être des habitants. Les zones naturelles sont aussi meilleures que les zones anthropisées pour capturer le CO2 atmosphérique et lutter contre le réchauffement du climat.

Comment protéger la biodiversité ?
La conservation de la nature a beaucoup évolué ces dernières décennies au grés des découvertes scientifiques, des expérimentations et des changements de perception de ce qui nous entoure. Pour faire simple, nous sommes passés d’une logique où la nature doit être mise à l’écart de l’humain et de ses activités nocives, à une vision de cohabitation heureuse qui bénéficierait à la fois à nos sociétés et aux espèces sauvages, sans pour autant voir la protection de la nature comme quelque chose de purement utilitariste. On considère donc aujourd’hui les intéractions entre la nature et les humains, et il est tout à fait pertinent de conserver les modes de vie traditionnels qui n’ont que peu d’impacts délétères.
Il existe aujourd’hui plusieurs efforts mis en place à l’échelle internationale pour protéger les espaces naturels. Par exemple les Aichi targets représentent des objectifs simples qui permettent d’aider la biodiversité s’ils sont correctement suivis, ce qui n’a malheureusement pas été le cas puisque tous les objectifs que nous nous sommes fixés pour 2020 ont largement échoué. Dans la même veine, il existe les SDGs ou Sustainable Development Goals, qui sont parfois difficiles à mesurer correctement et à appliquer. Il existe beaucoup d’aires protégées et près de 17% de la surface terrestre et 8% de la surface maritime sont sous une forme de protection. Attention toutefois, ce n’est pas parce qu’une zone est considérée comme « protégée » qu’il faut s’imaginer un sanctuaire naturel impénétrable. La plupart du temps, les activités humaines sont largement acceptées et ces territoires sont surtout utilisés pour gonfler les chiffres et verdir son image. À titre d’exemple, de la déforestation a été observée dans des zones normalement « protégées », et je ne parle même pas de la pêche dans les océans. Néanmoins, dans les zones réellement protégées, de nombreux exemples montrent un regain plutôt rapide de la biodiversité, ce qui est l’élément le plus encourageant que vous verrez dans cette série d’article. Histoire de nuancer ce bref regain d’espoir, le plus efficace semble toutefois d’abaisser notre niveau de pression sur l’environnement dans les zones qui ne sont, justement, pas protégées, car c’est ici que les causes principales du déclin de la biodiversité ont lieu. En effet, malgré l’augmentation des aires de conservation, le déclin de la biodiversité continue. L’implantation d’aires protégées n’est donc pas suffisant et elles ne représentent pas l’unique solution à notre disposition. De plus, il existe de nombreuses limites à cette méthode : les zones protégées doivent être connectées, il faut prendre en considération les habitants du territoire et leur mode de vie, il faut une surveillance assez importante des pratiques et donc pas mal d’argent etc.
À l’échelle de l’espèce, les statuts de menace de l’UICN permettent de suivre un protocole donné afin d’évaluer la qualité des populations pour déterminer leur évolution passée et future. Nous en avions déjà parlé dans cette article. Ces statuts de menace ne protègent pas directement les espèces, mais ils peuvent permettre aux autorités de prendre des décisions pour conserver les milieux naturels dans lesquels elles se développent. Ces statuts se déclinent généralement à plusieurs échelles : internationale, nationale et régionale. Le CITES (Convention on International Trade of Endangered Species) pose les bases légales de la régulation du commerce et du ramassage/braconnage des espèces en danger d’extinction. Même si la protection des espèces permet généralement la conservation de tout un milieu, la protection directe d’un écosystème est la technique la plus efficace puisqu’elle permet de protéger tous les niveaux de biodiversité ainsi que les espèces inconnues, invisibles, ou moins « sexy ». En revanche, la protection de larges espaces naturels n’a que peu d’intérêt s’ils ne sont pas connectés car les espèces, et en particulier les animaux, ont besoin de bouger pour se nourrir, se reproduire ou migrer. Pour cela, le réseau Natura2000 vise à créer un ensemble d’aires de « conservation » reliées entre-elles. Il existe encore d’autres mécanismes de conservation, mais le problème principal est que chaque zone protégée possède sa propre législation et il est très, très compliqué de s’y retrouver. Vous ne le savez probablement pas, mais il existe sûrement des zones dites « de conservation » proches de chez vous mais dont la législation est légère et n’interdit virtuellement rien. Leur efficacité dans la conservation de la nature est donc discutable.

L’infrastructure écologique, concept et définitions
Après cette introduction un peu longue mais nécessaire, entrons dans le vif du sujet. L’Infrastructure Ecologique (IE) est définie comme étant un réseau d’aires (semi-)naturelles offrant une protection optimale de la nature. Elle est traditionnellement composée de zones dites « centrales » ou « nodales » qui concentrent la biodiversité et les services écosystémiques (parcs naturels, réserves, zones protégées etc.) et des liens permettant la connectivité structurelle et fonctionnelle entre ces zones nodales. Cela signifie que les habitats naturels doivent être « physiquement » reliés par des corridors (connectivité structurelle) et que les animaux doivent pouvoir les utiliser (connectivité fonctionnelle). C’est un outil particulièrement utilisé dans la planification territoriale puisque l’idée fondamentale derrière ce concept est de donner une valeur d’intérêt écologique derrière chaque élément du paysage : un parking de supermarché aura une valeur faible alors que les berges d’un cours d’eau auront une valeur élevée. Cela permet, entre-autre, de considérer la nature dans les projets d’aménagement du territoire et, théoriquement, cela permet d’éviter de détruire les zones les plus intéressantes, ou au moins d’avoir une idée précise de ce qui est perdu.
Le terme « d’infrastructure écologique » est aujourd’hui largement employé, surtout en milieux urbains mais aussi à l’échelle européenne puisque l’union européenne propose à ses pays membres de l’identifier sur leur territoire. Plus précisément, il est demandé de consacrer 17% de son territoire à la conservation stricte de la nature en identifiant son IE afin de suivre les recommandations d’Aichi, ainsi que 13% supplémentaire avec une protection plus légère afin de porter la surface totale à 30% comme proposé lors de la COP15 sur la biodiversité de Décembre 2022. Le but est alors d’avoir environ un tiers de la surface d’un territoire dédié à la biodiversité. Le problème étant qu’il y a à peu près autant de définitions différentes qu’il y a d’infrastructure écologique… Ainsi, en contexte urbain, l’IE est souvent perçue comme une méthode de « verdissement » des villes, par exemple en promouvant les toitures végétalisées ou en identifiant l’accès aux espaces verts. Même si cela est tout à fait louable, on s’éloigne de la définition initiale du concept qui vise à conserver au mieux la nature en prenant en compte la biodiversité, les services écosystémiques ainsi que la connectivité. De plus, la méthode utilisée pour identifier les zones les plus intéressantes à conserver va fortement impacter la qualité du réseau et la sélection finale. Par exemple, prétendre identifier l’IE d’un territoire simplement en cartographiant les forêts et en justifiant cela comme étant la protection des services écosystémiques de stockage du CO2 n’est pas suffisant car la faune, la flore ou la connectivité des habitats ne sont pas pris en compte.
Avec mon équipe du Conservatoire et Jardin Botaniques de la ville de Genève et des collègues de l’Université de la même ville, nous partons du principe que pour conserver au mieux la nature, il faut considérer 3 éléments principaux que nous appelons « piliers » : la distribution de la biodiversité (faune, flore, habitats), les services écosystémiques (ceux qui ne sont pas contraire à la conservation de la nature), ainsi que la connectivité structurelle et fonctionnelle. À la fin du processus, on peut utiliser des logiciels dits de « priorisation » afin de trouver le meilleur compromis entre les données des 3 piliers et ainsi identifier les zones à intégrer à l’infrastructure écologique.
Pour montrer ce problème et ce manque d’unification dans les termes et les méthodes utilisés, nous avons fait une recherche des articles scientifiques mentionnant les termes « d’infrastructure écologique », « biodiversité », « connectivité » et « services écosystémiques » en 2020. Sur les 67 articles que nous avons trouvé, après avoir éliminé ceux qui parlent de verdissement urbains, seulement 7 mentionnaient explicitement une méthode pour étudier les 3 piliers, les autres se contentaient d’explorer seulement l’un d’entre-eux pour identifier leur infrastructure écologique. Nous avons donc décidé de résumer et lister les méthodes intéressantes pour étudier ces différents piliers.

Déterminer l’infrastructure écologique d’un territoire
Le premier pilier à étudier possède un nom un peu trompeur puisqu’il ne s’agit pas exactement de la « biodiversité » mais plutôt de la distribution des animaux et des plantes ainsi que des habitats. La vraie « biodiversité » est celle que l’on souhaite conserver avec l’infrastructure écologique finale puisqu’elle comprend d’autres aspects, notamment les interactions entre espèces ainsi que les fonctions des écosystèmes. L’idée est alors de modéliser la distribution des espèces en se basant sur des observations in-situ et sur tout un tas de variables environnementales comme la température, les précipitations, le type de sol etc. Avec ces informations, on peut donner une valeur d’habitabilité au territoire pour chacune des espèces et donc identifier les zones les plus intéressantes, par exemple, pour protéger un grand nombre d’espèces dans un minimum d’espace (hotspot de biodiversité) ou bien pour conserver spécifiquement les milieux intéressants pour les espèces rares/importantes. Je ne m’étale pas plus sur cet aspect car ce sera l’objet de la seconde partie de cette série d’articles, j’ai en effet passé une bonne partie de ma thèse à créer ce genre de modèles. Ce pilier permet donc de cartographier et d’identifier les milieux intéressants pour la survie des animaux et des plantes.
Le second pilier concerne les services écosystémiques. Il existe plusieurs manières, plus ou moins compliquées, pour modéliser leurs distributions et je ne m’attarderai pas sur les détails. En revanche, il faut avoir en tête que pour cartographier ces services, il est impératif d’avoir une donnée de base : la distribution des habitats. En effet, à chaque habitat sera associées des valeurs différentes pour le stockage du carbone, la survie des insectes pollinisateurs, la protection contre l’érosion etc. Par conséquent, avant de vouloir identifier son IE, il faut d’abord créer ce genre de données, ce qui n’est pas tout à fait évident lorsque l’on part de zéro. Un autre élément important à avoir en tête, les zones intéressantes pour la conservation des services écosystémiques dépendent… des services écosystémiques que l’on souhaite conserver, et la réflexion est loin d’être anodine. En effet, certains services écosystémiques, notamment de production de ressources, ont un effet très délétère sur la nature et donc leur conservation va avoir un effet contraire à ce que l’on souhaite. Pensez par exemple à l’agriculture intensive ou la production de bois, promouvoir ces services reviendrait à raser les forêts pour en récupérer le bois, et transformer le reste en zones agricoles, pour caricaturer. De plus, il est préférable de choisir un large panel de services écosystémiques pour éviter la sur-représentation de certains milieux. En effet, si vous ne vous basez que sur le stockage du carbone, vous n’allez favoriser que les forêts, si vous ne choisissez que la pollinisation, vous allez favoriser les prairies extensives etc. Enfin, les services écosystémiques sont plutôt difficiles à modéliser et nécessitent souvent beaucoup d’informations et de connaissances biologiques de terrain. Il est donc fondamental de s’entourer d’experts du domaine avant de se lancer.
Le troisième et dernier pilier concerne les connectivités structurelle et fonctionnelle du paysage. La connectivité structurelle correspond aux connexions physiques entre les habitats naturels et s’insère plus largement dans l’étude de la structure du paysage. Elle permet notamment d’identifier la fragmentation des milieux naturels ou encore la présence de zones nodales, c’est à dire de patchs d’habitat suffisamment larges pour s’émanciper des effets de bordure. En effet, les bords des habitats, comme les lisières des forêts, sont influencés par l’habitat voisin, et cela est d’autant plus marqué lorsque le milieux est urbain ou anthropique (cultures intensives par exemple) puisque les nuisances sonores, lumineuses ou olfactives sont particulièrement fortes. Ainsi, certains animaux ne vivront que dans ces zones nodales, loin de toutes perturbations. À l’inverse, certaines espèces de plantes vivent à l’intersection de deux habitats et ces lieux de transition peuvent aussi être intéressants à conserver. La connectivité fonctionnelle correspond à l’utilisation du paysage par les animaux et donc, leur capacité à se rendre d’un habitat à l’autre sans barrière écologique. Cette connectivité peut être extrêmement différente selon l’organisme et alors qu’une autoroute peut empêcher la circulation de mammifères ou d’amphibiens, elle n’a que peu d’effet sur le passage des oiseaux. La solution optimale pour l’étudier est donc de vérifier l’utilisation réelle du paysage par les animaux, par exemple en les marquant avec des colliers ou des puces GPS. Des modèles informatiques existent aussi mais sont moins performants. Ce dernier pilier a une importance majeure puisque la connectivité globale d’un territoire permet in fine la circulation des gènes entre les populations d’une même espèce, mais aussi la migration des animaux et des plantes pour suivre le climat qui leur est favorable dans un contexte de changement climatique.
Une fois les 3 piliers analysés et identifiés, il faut alors les regrouper et déterminer quelles zones intégrer à l’IE. Pour cela, nous préconisons l’utilisation de logiciel de priorisation qui permettent de trouver le meilleur compromis entre toutes les données en entrée. Ce type d’algorithme va attribuer une note à tous les pixels pour chacune des données utilisées et va ensuite sélectionner les meilleurs d’entre-eux tour à tour avec l’objectif de garder les zones importantes pour toutes les cartes. Un avantage de cette approche est sa flexibilité puisqu’il est possible de modifier le poids alloué à chacun des piliers ou bien de forcer le logiciel à considérer ou non certaines zones de l’étude, par exemple pour exclure les centres urbains ou forcer l’intégration des aires protégées. Ainsi, si l’on décide que la protection de des zones riches en espèces est plus importante que certains services écosystémiques, il est tout à fait possible de l’inclure dans l’analyse.

Conclusions
La méthode développée ici est un peu compliquée mais la prise en compte d’un maximum d’aspects de conservation de la nature permet de s’assurer que l’infrastructure écologique identifiée soit efficace et pertinente. Si l’on décide des zones à protéger en considérant peu de paramètres, ou uniquement ceux qui nous arrangent, on risque de passer à côté d’éléments importants et donc de perdre en efficacité, voire de complètement se méprendre sur les éléments à conserver. En revanche, faire un travail complet et exhaustif induit déjà d’avoir les connaissances, les capacités techniques et financières ainsi que les infrastructures pour permettre ce travail qui demandent l’utilisation de plusieurs logiciels pas tout à fait intuitifs à utiliser et pas toujours gratuits, du codage, ainsi que des analyses lourdes prenant parfois plusieurs jours à se réaliser. De plus, les données de base avec lesquelles sont construits les résultats intermédiaires sont souvent inexistantes dans la plupart des territoires. Un travail préliminaire est donc de lister et de créer toutes les données nécessaires.
Alors que de ne considérer que quelques éléments pour identifier son réseau de protection de la nature n’est clairement pas pertinent, cela ne veut pas dire qu’il est souhaitable de considérer un nombre infini de données. En effet, il y a compromis à trouver entre une méthodologie trop simpliste, peu représentative de la biodiversité et peu pertinente pour sa protection, et une méthodologie trop complexe, difficile à réaliser, à justifier, à expliquer, et trop gourmande en ressources. L’idéal est donc de représenter un peu tous les aspects liés aux 3 piliers sans pour autant intégrer des éléments trop redondants. Cette réflexion dépend évidemment du contexte et du pilier car il est sûrement plus intéressant de modéliser la distribution d’un maximum d’espèces afin d’avoir une idée de la distribution des « hotspots », mais pas forcément la connectivité d’animaux très similaires qui utiliseront les mêmes corridors. Comme tout concept lié à la conservation, l’infrastructure écologique est aussi politique et il est donc nécessaire de pouvoir expliquer clairement la démarche aux instances qui ont le pouvoir décisionnel. Il est donc important de trouver le juste compromis entre complexité de la méthodologie et faisabilité.
Ce travail serait impossible sans un suivi rigoureux de la biodiversité, une cartographie précise des milieux naturels ainsi qu’une connaissance aguerrie de son territoire. Le partage des données, des méthodes et des connaissances doit être davantage mis en avant et sortir des sphères purement scientifiques. En effet, la mise en place concrète d’une infrastructure écologique n’est pas qu’un exercice scientifique, il nécessite aussi et surtout la participation et le soutien des naturalistes de terrain qui ont les connaissances nécessaires pour vérifier la pertinence des résultats, ainsi que celle des sphères politique et décisionnelle sans lesquelles les financements n’existeraient pas et les applications seraient légalement impossibles.
Références
Honeck, E., Sanguet, A., Schlaepfer, M. A., Wyler, N., & Lehmann, A. (2020). Methods for identifying green infrastructure. SN Applied Sciences, 2, 1-25. https://doi.org/10.1007/s42452-020-03575-4
Sanguet, A., Price, M., Lehmann, A. & Wyler, N. (2022b). Distribution of plant diversity used for identifying the green infrastructure in Grand Genève in the context of global changes. PhD Thesis. 10.13097/archive-ouverte/unige:164478