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Comment modéliser la distribution des espèces (Species Distribution Modeling) ? – résumé de mon doctorat, partie 2

Ecoutez cet article avec la version audio illustrée disponible ici :

L’utilisation de modèles de distribution d’espèces, ou Species Distribution Models (SDM) dans la littérature scientifique, est particulièrement en vogue ces 20 dernières années et pour cause : ils permettent de donner une valeur d’habitabilité à une zone géographique pour une ou plusieurs espèces. Ainsi, il est théoriquement possible de connaître la distribution d’une espèce sur un territoire donné sans le prospecter dans son entièreté, ce qui est un gain de temps et de moyens énorme. Nous allons voir dans cet article la méthodologie et les idées derrière la création de ces modèles puis nous prendrons un exemple concret pour bien comprendre les conclusions que l’on peut en tirer.

Cet article est la seconde partie d’une série visant à expliquer et vulgariser ma thèse de doctorat que j’ai préparée aux Conservatoire et Jardin botaniques de la ville de Genève avec l’Université de la même ville, et que j’ai soutenue en Juillet 2022. L’entièreté de ma thèse (en anglais) est disponible gratuitement ici : https://archive-ouverte.unige.ch/unige:164478?fbclid=IwAR1tGQFsv27j66PlgjMkpQ_naeYOqTA-7WLX8uxpsUgjGUH8BB7bM-1iJBM.

La première partie traite de l’infrastructure écologique et est disponible en cliquant ici.

Pour ce deuxième volet, je vais me baser sur les parties introductives de ma thèse ainsi que sur un article (Sanguet et al., 2022) qui a été publié et qui est disponible ici : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2351989422002888. Vous pouvez le consulter pour avoir accès aux sources de ce travail et vous pouvez aussi me contacter pour plus d’informations.

Contact : phagophytos@gmail.com



« Globalement, tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles »

« Essentially, all models are wrong, but some are useful. »

George EP Box


Un peu de contexte

La majeure partie de mon travail de thèse a consisté en la création de cartes de distribution des plantes d’un territoire appelé « Grand Genève » afin d’identifier les zones importantes pour la conservation de la biodiversité. J’ai donc passé la plupart de mon temps à utiliser et perfectionner des modèles de distribution d’espèces.

L’idée maîtresse de ces modèles est d’essayer de reconstruire la niche écologique réalisée des espèces. Quelques explications s’imposent.

La niche écologique est concept qui attribue un ensemble de valeurs environnementales à chacune des espèces, permettant d’expliquer pourquoi elles poussent dans un environnement bien spécifique. Par exemple, et pour caricaturer, les plantes tropicales apprécient des températures moyennes chaudes et stables, alors que les plantes tempérées préfèrent des températures plus basses et plus variables. Ainsi, chaque espèce possède théoriquement une niche écologique suffisamment différente des autres, permettant ainsi la coexistence de plusieurs espèces dans un même territoire. Si deux espèces ont une niche écologique et une distribution identiques, elles sont alors en compétition pour l’accès aux ressources. Les variables environnementales qui fabriquent la niche écologique sont infinies mais les plus importantes sont : la température, l’humidité, les caractéristiques du sol, la structure du territoire, la lumière, mais aussi les intéractions avec les autres organismes. Chaque espèce possède donc des valeurs environnementales optimales où elle sera la plus compétitive ce qui assure sa survie dans son habitat. Plus les valeurs environnementales s’éloignent de ses valeurs optimales, moins l’espèce est compétitive et plus elle a tendance à se faire remplacer par d’autres, plus compétitives.

On distingue deux types de niche écologique : la niche théorique et la niche réalisée. La première se base sur les tolérances d’une espèce en dehors de la nature, donc sans intéraction avec d’autres organismes, dans des conditions contrôlées. Par exemple, dans ces conditions, une espèce peut théoriquement supporter des températures disons de 5°C à 35°C sans mourir de chaud ni de froid. Cela représente en quelque sorte l’éventail des valeurs potentielles que peut supporter cette espèce. En revanche, elle est tellement peu compétitive aux extrêmes de sa niche écologique théorique qu’on ne la trouve dans la nature qu’entre des températures de 15°C à 25°C. Pourquoi ? Car elle est remplacée par d’autres espèces plus compétitives aux extrêmes. On appelle cela sa niche écologique réalisée ! Les modèles de distribution d’espèces calculent la niche écologique réalisée puisqu’ils se basent sur l’observation d’individus sauvages.

Maintenant que vous avez les bases, entrons dans le vif du sujet.

Pinguicula alpina est une plante d’altitude et ne peut pousser que dans des zones où la température reste fraîche

Comment ça fonctionne ?

Les données de base

Les modèles de distribution d’espèces se basent sur deux facteurs fondamentaux :

  1. Des variables environnementales, aussi appelées « prédicteurs », qui définissent du mieux possible la niche écologique réalisée de l’espèce ciblée. Il est globalement admis que ces variables doivent prendre en compte :
    • Le climat et notamment les maximales, minimales et la variation des températures ainsi que la pluviométrie globale et les différences entre saisons sèches et humides. En effet, la fréquence des pluies est un paramètre absolument primordial qui permet de différencier les plantes poussant dans des zones tempérées de celles se trouvant dans les zones tropicales avec une alternance marquée de saisons sèche et humide.
    • L’écologie de l’espèce et notamment ses habitats de prédilection, le type de sol ainsi que la structure de son écosystème (plutôt un habitat uniforme, des milieux dégradés, bien connectés etc.).
    • La topographie, surtout dans les régions montagneuses ou vallonnées, avec par exemple l’exposition, la pente, la radiation solaire ou encore sa localisation relative en fonction du reste du territoire (sommet d’une colline ou fond de vallée).

2. Des observations d’individus de l’espèce dans la nature. On parle ici d’individus sauvages et non cultivés/en captivité. En effet, le modèle doit déterminer la niche écologique réalisée de l’espèce dans son environnement naturel et il faut pour cela des observations d’individus sauvages. Ces observations doivent respecter plusieurs points pour être de la meilleure qualité possible. Tout d’abord, elles doivent être précises et si possibles assez récentes pour ne pas biaiser les modèles avec des populations disparues qui vivaient dans des environnements différents. Ensuite, elles doivent être nombreuses, au minimum une trentaine, et bien réparties sur l’aire d’étude. Ce point est très important car si les observations sont toutes localisées au même endroit, et que cela ne représente pas la distribution réelle ou connue de l’espèce, le modèle va considérer les caractéristiques de cet endroit comme les seules viables. Au contraire, des observations diffuses sur le territoire, dans plusieurs localités, qui représentent à peu près toutes les zones connues/prospectées où se trouve l’espèce, permettent au modèle de mieux extraire les conditions environnementales importantes. Il existe la possibilité de fournir au modèle une « bias file » ou un fichier de biais, qui permet de montrer la concentration des observations et ainsi donner moins d’importance aux zones suréchantillonnées.

Le processus de modélisation

Avec ces deux informations, le modèle extraie les valeurs des variables environnementales aux localisations où se trouvent les observations des individus sauvages de l’espèce, on sait alors que ces valeurs font partie de sa niche écologique réalisée. Ces valeurs sont ensuite comparées à celles de points d’absence, c’est-à-dire des endroits où l’on sait que l’espèce ne se trouve pas, afin de dégager avec précision l’environnement optimal de l’espèce. Ces points d’absence sont parfois indisponibles car il est compliqué de s’assurer qu’une espèce n’est pas présente quelque part, d’autant plus pour des animaux mobiles par nature. Dans ce cas on utilise généralement des points dits « d’arrière plan » (background data), généralement 10’000 ou plus, qui définissent alors toutes les valeurs possibles de chaque variable environnementale en tout point de l’aire d’étude. On a donc des valeurs moyennes sur toute l’aire d’étude et des valeurs moyennes où se trouve l’espèce, si ces dernières sont statistiquement différentes des premières, cela montre que l’espèce a une préférence pour une variable donnée : on a alors une idée de sa niche écologique réalisée. Cette première étape, appelée « fit« , est fondamentale puisqu’elle est à la base de toutes les applications suivantes.

Une fois les valeurs environnementales de la niche écologique réalisée connues, le modèle les projette sur le territoire. Ainsi, toutes les zones qui collent aux conditions optimales de l’espèce sont considérées comme « très habitables » alors que les zones dont les conditions sont éloignées de l’optimum sont « peu habitables ». Et voilà, nous avons notre carte de distribution ! …. …. Non ?

Le résultat

Il est important de signaler ici que ce n’est pas la distribution réelle qui est modélisée, puisqu’elle est inconnue, mais bien l’habitabilité d’un territoire pour une espèce donnée en fonction des variables environnementales considérées. Le résultat pourrait s’interpréter comme une probabilité de présence d’une espèce en chaque point de la carte. En revanche, ce n’est pas parce qu’un endroit est très favorable au développement d’une espèce que l’on va nécessairement la trouver ! La carte résultante permet simplement d’estimer l’habitabilité d’une aire d’étude et cela peut être pratique pour la comparer dans différentes conditions (aujourd’hui VS dans le future avec le changement climatique) ou bien pour avoir une idée de nouvelles zones à prospecter pour trouver de nouvelles populations.

Attention tout de même, ces modèles peuvent tout à fait tourner en utilisant la localisation des boulangeries et le prix du carburant comme variable environnementale, même si cela n’a aucun sens écologique. Ce sont avant tout des outils, et il faut absolument s’assurer de la qualité et de la pertinence des données qu’on lui donne en amont pour pouvoir interpréter les résultats. Il existe de nombreuses méthodes pour tester la qualité des résultats, ce qui représente une étape primordiale et doit être fait à plusieurs reprises, mais nous ne nous attarderons pas sur cet aspect qui mériterait un article complet.

Les applications potentielles

Le résultat final s’apparente donc à une carte où chaque pixel possède une valeur qui définit le degré d’habitabilité du milieu. Si ces modèles sont effectués avec plusieurs espèces, il est alors possible de superposer ces cartes en les additionnant ce qui fait ressortir les zones les plus habitables pour un maximum d’espèces : on appelle ces zones des « hotspots » ou « points chauds » de biodiversité. Ces « hotspots » concentrent donc de nombreuses espèces et leur conservation est alors primordiale, bien qu’insuffisante si l’on souhaite aussi préserver des espèces rares que l’on ne trouve pas toujours dans ces milieux. Il est aussi possible d’utiliser ces modèles dans le futur et de comparer les distributions actuelles et futures pour définir la vulnérabilité des espèces aux changements globaux. C’est exactement ce que j’ai fait dans mon troisième chapitre de thèse donc nous en reparlerons. Il est aussi possible d’utiliser ces cartes pour en faire d’autres indices de biodiversité, des réseaux de conservation grâce à des logiciels de priorisation, ou bien de calculer la connectivité ou la fragmentation de la distribution de chaque espèce.

Les applications sont pour ainsi dire infinies et sont particulièrement intéressantes dans une optique de conservation de la biodiversité ou plus largement l’étude des écosystèmes et des espèces.

Résumé du principe de base des modèles de distribution d’espèces, depuis Honeck & Sanguet, 2020 (https://link.springer.com/article/10.1007/s42452-020-03575-4)

Mon travail

Aire d’étude de mon travail : en trait grossier le territoire du Grand Genève (Sanguet et al., 2022)

Introduction

Prenons un exemple pour bien comprendre ce que l’on peut faire avec ces modèles.

Durant ce travail j’ai modélisé la distribution de plusieurs espèces de plante sur le territoire du Grand Genève en utilisant différents prédicteurs (variables environnementales) afin de tester lesquels étaient les plus pertinents dans notre aire d’étude. C’est une étape cruciale si l’on veut ensuite pousser les analyses plus loin, par exemple en modélisant les distributions futures des espèces. Le Grand Genève est un territoire à cheval entre la France et la Suisse qui contient le canton de Genève, une partie du canton de Vaud, une partie de l’Ain et de la Haute-Savoie. Ce territoire inclue aussi une partie du Jura français. Il est donc simultanément sur deux pays, deux cantons, deux régions et trois départements ce qui complique beaucoup l’accès à des données homogènes.

Méthodes

La première étape a été de compiler les observations de 72 plantes dans la nature. Les espèces sélectionnées appartenaient à plusieurs grands groupes de plantes (Angiospermes = plantes à fleurs, Gymnospermes = conifères, et Ptéridophytes = fougères) et formes de vie : arbres, herbacées, annuelles, pérennes, lianes et arbustes. Les observations ont été triées pour ne garder que les plus précises (moins de 25 mètres de précision, ce qui correspond à la taille des pixels des prédicteurs) et les plus récentes (après l’an 2000).

Pourquoi 72 plantes ? 12 espèces ont été sélectionnées pour six groupes écologiques différents. L’idée était aussi de tester si le choix des prédicteurs variait en fonction des préférences écologiques de l’espèce. Les groupes écologiques comprenaient des espèces : rudérales (milieux perturbés), alpines (plantes d’altitude), hygrophytes (milieux humides), de prairies sèche et maigre c’est-à-dire pauvre en nutriments, de prairie grasse riche en nutriments, et enfin forestières (qui habitent dans les forêts).

Les prédicteurs ont été classifiés en 12 traitements à partir de trois grandes familles de variables environnementales : 1) des prédicteurs topopedo-climatiques, un mot bien compliqué mais qui correspond en fait au climat (températures, précipitations), à la topographie (pente, exposition) et à la pédologie (type de sol), 2) des prédicteurs biotiques correspondant aux habitats naturels et anthropiques de la région avec des classes plus ou moins précises et 3) des prédicteurs issus d’images satellites afin de tester si l’on peut utiliser cette nouvelle ressource en remplacement aux habitats naturels qui ne sont pas toujours cartographiés et disponibles. Ces 12 combinaisons ont permis de tester tous les mélanges possibles entre ces trois grands groupes de prédicteurs mais aussi l’importance de leur nombre (nombreux VS peu nombreux) et de leur précision (classe d’habitats très précise ou peu précise).

Les modélisations ont donc été faites 12 fois pour chacune des 72 espèces et une évaluation minutieuse de la qualité des résultats a été effectuée afin de voir : 1) quels sont les prédicteurs qui ont le mieux fonctionné, 2) comment ont réagi les différents groupes de plantes et 3) quelle était l’utilité des images satellites dans ce processus. Chacune des modélisations a été effectuée 10 fois de suite en changeant aléatoirement les observations utilisées pour créer le modèle et pour l’évaluer.

Idée générale des modélisations menées pour chacune des espèces (Sanguet et al., 2022)

Les résultats

Quels prédicteurs utiliser ?

Les résultats montrent qu’une association de prédicteurs climatiques, topographiques, pédologiques et biotiques donne les meilleures distributions finales. Cela n’est pas tout à fait surprenant car il est globalement admis que cette association de prédicteurs est la plus intéressante. Si l’on regarde plus en détails, on se rend compte que les habitats ont joué un rôle particulièrement important dans la contribution des modèles, ce qui est aussi plutôt logique d’un point de vue naturaliste : on ne trouve pas des espèces forestières dans des prairies.

Le pic de qualité des modèles est atteint lorsque 8 habitats sont utilisés, en opposition à 4 ou 12. En effet, si les habitats sont trop peu précis, le modèle a du mal à cerner la présence de l’espèce mais si les habitats sont trop précis, le modèle à du mal à comprendre les préférences de la plante. Par exemple, une espèce qui pousse en forêt fermée risque de ne pas pousser en forêt ouverte (qui est un autre grand type de forêt). En revanche, cette espèce peut pousser dans différentes sous-catégories de forêt fermée (à conifères, à feuillus etc.). Il faut alors trouver le juste milieu en expérimentant. Il est difficile de faire des généralités car les résultats diffèrent en fonction des groupes écologiques (voir plus bas).

Quid des images satellites ?

Les images satellites sont de plus en plus utilisées dans les modélisations car elles peuvent permettre d’identifier des habitats naturels depuis l’espace et donc de s’affranchir de complications pour les cartographier manuellement avec un long travail de terrain et informatique. En revanche dans cette expérimentation, les images satellites ont été très mauvaises pour modéliser la distribution des espèces, surtout en comparaison à de « vrais » d’habitats dûment cartographié. Elles produisent en effet des modèles d’une qualité très inférieure et ne peuvent donc pas être utilisées en remplacement à des cartographies d’habitats, même si des améliorations pourraient être testées. Nous ne nous attarderons pas plus sur ce sujet mais n’hésitez pas à aller voir l’article si cela vous intéresse.

Toutes les plantes se modélisent-elles de la même manière ?

Les groupes écologiques ont montré des performances différentes, signifiant que le mode de vie des espèces a un impact sur la facilité avec laquelle on peut modéliser leur distribution.

Dans notre cas, les espèces alpines ou rudérales ont été plus faciles à modéliser que les espèces de milieux humides. En d’autres termes, les cartes de distribution des premières semblent plus pertinentes que celles des secondes. Cela peut être expliqué par le fait que les espèces alpines du jeu de données ne poussent qu’en pâturages d’altitude, où les milieux sont relativement uniformes ; ils ont donc peu d’impacts sur les modèles. De même, les plantes rudérales poussent dans des milieux urbains perturbés que l’on ne trouve qu’à basse altitude où l’influence humaine est grande. Pour ces deux groupes, les prédicteurs d’habitat contribuent peu à la performance globale du modèle, puisque c’est avant tout leur altitude qui explique leur distribution.

En revanche, les espèces de milieux humides sont plus difficiles à modéliser et beaucoup plus dépendantes de la distribution des habitats. En effet, ce qui explique ou non la présence d’une espèce de milieu humide est davantage l’humidité du milieu que l’altitude. Mais alors comment expliquer la qualité réduite de leurs modèles ? Et bien cela pourrait provenir de la difficulté que nous avons à cartographier les zones humides : 1) les pixels font 25 m² donc les zones humides plus petites ne sont pas utilisables par le modèle, 2) il peut exister des milieux humides « invisibles », car l’humidité se trouve en profondeur sous la terre, qui sont par essence difficiles à repérer et à cartographier, 3) les zones humides peuvent être temporaires et donc non classifiées comme telles dans les cartes des milieux.

Pour résumer, les résultats principaux de l’utilisation des modèles de distribution d’espèces (SDM) montrent que :

  1. Il faut tester plusieurs combinaisons de prédicteurs et prendre la combinaison qui a la meilleure performance moyenne, surtout lorsque l’on modélise beaucoup d’espèces d’un coup
  2. Connaître le territoire d’étude, notamment son relief et ses habitats, est primordial pour orienter la sélection des prédicteurs
  3. Connaître l’écologie des espèces que l’on étudie est tout aussi fondamental
  4. Les images satellites ne permettent pas de remplacer une vraie cartographie des habitats naturels, mais si cette dernière n’est pas disponible, elles peuvent tout de même être utilisées moyennant un travail en amont (voire article pour plus d’informations)
  5. Une association entre des prédicteurs topographiques, pédologiques, climatiques et biotiques donne les meilleurs résultats
On voit ici la localisation des individus et les différentes distributions modélisées pour deux espèces : Listera ovata (A,C) et Campanula rhomboidalis (B,D)

Limites

Il est toujours bon dans la recherche scientifique de critiquer ses propres résultats et de montrer les limites associées aux grandes conclusions que l’on a tiré. Cela ne signifie pas que les résultats sont mauvais ou ne servent à rien, mais ils doivent être pris dans un contexte.

Tout d’abord, ce qui a été présenté ici ne reflètent que les résultats d’une étude, dans une zone géographique, à un moment donné. Même si les conclusions sont globalement en accord avec le reste de la littérature, l’expérience pourrait être améliorée en utilisant plus d’espèces, des espèces plus rares, d’autres prédicteurs, d’autres algorithmes de modélisation ou d’autres manières de mesurer la performance des modèles.

Plus généralement, les modèles ne remplaceront jamais une expertise de terrain. Ils permettent en revanche de poser un cadre commun à toutes les espèces et donc de les étudier simultanément en ayant la possibilité de les comparer.

Il faut bien comprendre que le résultat final est extrêmement versatile et dépend totalement de plusieurs éléments clés de la méthodologie :

  1. La qualité et la quantité des observations et les potentielles erreurs d’identification ou d’inattention dans l’envoi des données
  2. La qualité et la quantité des prédicteurs, puisque le modèle donnera forcément une carte finale peu importe les prédicteurs utilisés. Il faut donc bien connaître son territoire et ses espèces afin de déterminer si la distribution finale est plausible, en complément des mesures classiques de performance et de qualité
  3. La programmation, l’algorithme utilisé, le nombre de répétitions et les points d’absence doivent aussi être intelligemment utilisés
  4. Les autres potentiels biais sous-jacents comme : les biais spatiaux dus à des observations non représentatives de la distribution connue de l’espèce (voire le point qui traite de ce sujet dans le chapitre « comment ça marche » plus haut) ou bien la redondance des prédicteurs qui, même s’ils sont différents, représentent la même pression écologique (par exemple l’altitude et la température ne devraient pas être utilisées conjointement).

Pour toutes ces raisons, il est extrêmement important de connaître parfaitement sa zone d’étude, ses caractéristiques et les espèces étudiées. Il est fondamental de s’entourer de naturalistes locaux qui connaissent le territoire et sa dynamique passée. Il faut travailler en équipe et intelligemment pour ne pas risquer de tirer des conclusions à partir de résultats au mieux biaisés, au pire complètement faux.

VIDEO – Les mécanismes génétiques à la base de la digestion des plantes carnivores

Bonjour,

Dans le cadre de la troisième table ronde organisée par Conférences Plantes Carnivores, j’ai présenté un article scientifique qui traite des mécanismes génétiques à la base de la carnivorie de la dionée et plus globalement des plantes carnivores.

La vidéo résume les résultats d’un article scientifique qui a étudié l’activation des gènes chez la dionée dans plusieurs situations, par exemple la digestion et la stimulation mécanique ou « olfactive » des pièges. Il en ressort notamment que les gènes associés à la carnivorie sont très similaires aux gènes associés aux défenses des plantes face aux agressions et aux maladies, ce qui corrobore d’autres théories sur l’apparition de la carnivorie chez les plantes… Pour plus d’informations c’est ici :

Nous n’arrêterons pas le réchauffement climatique : le terrible constat de la crise du coronavirus

La crise du coronavirus, aussi terrible soit-elle, nous a démontré plusieurs choses : il est possible de prendre des mesures radicales en quelques jours, il est possible de créer beaucoup d’argent pour répondre à un problème urgent, et surtout, l’arrêt de la consommation et de la production entraînent une chute importante des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons tou-te-s vu ces vidéos d’animaux qui reprennent possession de l’espace laissé à l’abandon par les humains durant le confinement, ainsi que ces images satellites montrant la chute du niveau d’émission de CO2. Pour autant, même si nous avions un confinement identique tous les ans, nous n’arriverions même pas à limiter le réchauffement sous la barre symbolique des +2°C. Autrement dit, nous nous sommes rendus compte de l’étendu de notre impact sur le climat, mais surtout des efforts titanesques à mettre en place pour le limiter.

Cet article est assez long et dense mais j’ai souhaité le laisser en une seule partie pour mieux montrer les liens entre les différents chapitres. Nous allons tout d’abord faire un bilan de la température moyenne annuelle de ces dernières années pour bien se remémorer combien le climat change, en chiffre. Ensuite, nous discuterons rapidement de l’impact du changement climatique sur la biodiversité, même si ce thème a déjà été abordé dans plusieurs articles du site. Nous verrons ensuite quel est la trajectoire actuelle du réchauffement et nous terminerons par les éléments que la crise a mis en lumière. Vous trouverez à disposition beaucoup de références, n’hésitez pas à aller vérifier les chiffres par vous-même et à approfondir le sujet en regardant les quelques vidéos dans la conclusion. Le sujet est évidemment vaste et je ferai quelques raccourcis.

Le réchauffement en chiffres

Je ne vais pas revenir sur la véracité ou non du changement climatique qui, je le rappelle, n’a rien d’une opinion personnelle ; c’est un processus météorologique aujourd’hui bien compris. Je vais néanmoins vous donner quelques chiffres brutes issues de sources sérieuses pour que vous réalisiez l’ampleur de l’accélération du réchauffement climatique. Pour consulter ces chiffres, c’est ici : https://www.noaa.gov/news/2019-was-2nd-hottest-year-on-record-for-earth-say-noaa-nasa, ici : http://www.meteofrance.fr/actualites/78484941-monde-plus-d-extremes-en-2020-apres-une-annee-2019-exceptionnelle et ici : http://www.meteofrance.fr/actualites/78251648-france-2019-au-3e-rang-des-annees-les-plus-chaudes

2019 a été l’une des années les plus chaudes en France (3e avec +1.1°C) et dans le monde (2e) précédée de peu par 2016 (0.04°C plus chaude) et suivie de 2015, 2017 et 2018. À l’échelle de l’Europe, 2019 est l’année la plus chaude jamais enregistrée (+1,24°C).

La température moyenne annuelle approche déjà +1°C par rapport aux températures pré-industrielles, 0.95°C exactement pour 2019, avec des conséquences déjà visibles et mesurables, par exemple en Suisse : il fait +2°C par rapport au début des mesures en 1864 (il fait globalement plus chaud sur les continents qu’au dessus des océans), le nombre de jours de neige a été divisé par 2 depuis 1970, l’ensoleillement à augmenté de 20% depuis 1980, les vagues de chaleur ont triplé en un peu plus de 100 ans, les glaciers ont perdu 60% de leur volume (ou de leur masse) en 150 ans (source météosuisse).

Les 5 années les plus chaudes ont été mesurées depuis 2015 et les 20 années les plus chaudes ont été mesurées dans les 21 dernières années (1999-2019). On a donc de plus en plus de probabilité de battre des records de chaleur, ce qui souligne bien l’accélération du réchauffement. Dans la même veine, les 43 dernières années sont toutes plus chaudes que la moyenne pré-industrielle, que ce soit dans l’air ou les océans.

• Explosion des records de température en Europe en 2019, notamment en France et en Allemagne, beaucoup de catastrophes naturelles et notamment des super-incendies partout sur la planète, une accélération de la fonte de l’Antarctique, un record d’augmentation du niveau de la mer et de son acidification.

• Il y a eu un déficit de précipitations allant de 20 à 30% du territoire français avec une augmentation des phénomènes brutaux (orages) qui permettent mal l’absorption de l’eau dans les sols. L’été 2019 ayant été particulièrement sec et chaud, nous avons un bel exemple de ce à quoi pourrait ressembler le climat en métropole d’ici quelques décennies, un climat de type « méditerranéen ». http://www.meteofrance.fr/actualites/79551843-humidite-des-sols-une-saison-marquee-par-un-deficit-des-precipitations

Anomalies de températures du mois d’Avril 2020. Les zones en bleu sont plus froide qu’à l’habitude alors que les zones en rouge sont plus chaudes. Les zones en rouge pourpre ont des températures moyennes jusqu’à 10 degrés supérieures à la normale ! Source : https://www.noaa.gov/news/april-2020-was-earth-s-2nd-hottest-april-on-record
  • L’année 2020 semble bien partie pour entrer dans le top 5 des années les plus chaudes depuis le début des mesures. L’année commence avec l’hiver le plus chaud jamais enregistré en France métropolitaine (+ 2,7°C) caractérisé par une absence de vague de froid et un ensoleillement particulièrement important. Au niveau mondial, Février et Mars ont été les 2e plus chauds jamais enregistrés. https://www.noaa.gov/news/earth-had-its-2nd-hottest-march-on-record
http://www.meteofrance.fr/documents/10192/82450374/CARTE_FRANCE_ATM_2020PRI_280520.png/82ceec61-30ff-4f00-b50a-06de9fce87e0?t=1590738825997&json={%27type%27:%27Media_Image%27,%27titre%27:%27Ecart%20%C3%A0%20la%20moyenne%20saisonni%C3%A8re%20de%20la%20temp%C3%A9rature%20moyenne%20-%20France%20-%20Printemps%202020%27,%27alternative%27:%27Ecart%20%C3%A0%20la%20moyenne%20saisonni%C3%A8re%20de%20la%20temp%C3%A9rature%20moyenne%20-%20France%20-%20Printemps%202020%27,%27legende%27:%27Ecart%20%C3%A0%20la%20moyenne%20saisonni%C3%A8re%20de%20la%20temp%C3%A9rature%20moyenne%20-%20France%20-%20Printemps%202020%27,%27credits%27:%27M%C3%A9t%C3%A9o-France%27,%27poids%27:%27144,2ko%27}
Anomalies de température en France métropolitaine pour le printemps 2020. Source : Météo France

Bon il n’est pas nécessaire de vous assommer avec plus de chiffres, vous avez compris l’idée. Pour terminer cette section je voudrais rappeler une chose très importante. Comme une vague de froid ne prouve en rien que le réchauffement climatique n’existe pas (argument favoris des climatosceptiques de comptoirs ou des présentateurs de Cnews), une vague de chaleur ou un record de chaleur isolé ne prouve en rien qu’il existe. Il faut bien faire la distinction entre le climat, qui est un phénomène global, et la météo qui est un phénomène très localisé. En revanche, la multiplication et l’accélération des phénomènes météorologiques extrêmes comme les canicules et les records de chaleur représentent une preuve du réchauffement climatique ! Pour rappel, nous observons rarement (voire jamais ?), des records de fraîcheur ces dernières années, alors que nous explosons tous les ans des records de chaleur. Par exemple, ce mois de Juillet 2020 a été le 427 mois consécutifs (plus de 35 ans !!) pour lequel les températures moyennes sont supérieures à la normale au niveau global. On ne parle donc pas d’un événement épisodique, mais bien d’un réchauffement profond de notre climat. Enfin, il faut bien comprendre que les températures représentent une moyenne mondiale, il peut évidemment faire plus froid dans certaines zones, comme cet été en Irlande (http://meteofrance.com/actualites-et-dossiers/actualites/planete/irlande-une-annee-sans-ete)

Quelles conséquences pour la biodiversité et l’humain ?

Le changement climatique est un problème pour la biodiversité mais aussi pour l’homme lui-même. De nombreuses régions, concentrées dans la zone intertropicale, vont voir leur habitabilité drastiquement diminuée à cause de la chaleur. Mais ce n’est pas tout, il est probable que certaines régions n’aient plus accès à des ressources suffisantes en eau pour vivre ou faire de l’agriculture, ce qui étend encore les régions invivables. Selon les estimations et en fonction des scénarios de changement climatique, on pourrait s’attendre à un demi milliard de migrants climatiques d’ici la fin du siècle.

La carte ci-dessous provient d’un article scientifique qui souhaitait regarder l’évolution de l’habitabilité de notre planète en ne se basant que sur la température. La première carte représente l’habitabilité actuelle et la seconde celle en 2070 si nous ne changeons pas drastiquement de cap dans nos émissions de CO2. Les zones en bleu sombre sont faciles à vivre, les zones en blanc non. Les auteurs ont regardé la température uniquement et non le développement ou les infrastructures des pays. La carte du bas montre les changements observés entre l’habitabilité actuelle et future. En vert les zones qui gagnent en habitabilité représentent généralement des régions froides qui vont se réchauffer (et avoir des hiver plus doux donc plus vivables). En rouge, les zones perdent en habitabilité. On voit notamment que toute la ceinture tropicale va devenir moins habitable qu’elle ne l’est actuellement, mais aussi l’Espagne, une partie de l’Italie et probablement le sud de la France.

Source : https://www.pnas.org/content/117/21/11350

La biodiversité va aussi souffrir de ce changement brusque de température. Il y a déjà eu des changements climatiques par le passé, mais ces changements s’étalaient sur des dizaines de milliers d’années pour les plus rapides. Il existe deux méthodes à disposition des espèces pour survivre : migrer ou s’adapter. L’adaptation est possible si la diversité génétique est suffisamment importante et si les changements climatiques ne sont pas trop brutaux & intenses car c’est un processus long. Autant vous dire que l’adaptation est peu crédible dans notre contexte actuel vu la rapidité des changements et l’état de la diversité génétique des populations sauvages. La seconde solution est la migration, c’est-à-dire d’aller chercher des zones plus favorables sans spécialement s’adapter au nouveau climat. Par exemple, s’il fait plus chaud, les espèces ont tendance à remonter en latitude ou en altitude. On observe déjà ce phénomène actuellement : les glaciers fondent et les plantes colonisent les terres libérées en altitude, de même, certaines espèces méditerranéennes remontent doucement la France car le climat y devient favorable. Bientôt les cigales à Paris ? Pas vraiment…

Deux problèmes majeurs entravent la migration des espèces. Le premier est le temps nécessaire à cette migration. Même si le déplacement des espèces est plus rapide que leur adaptation, toutes ne sont pas armées de la même manière pour migrer. Autant certains animaux peuvent se déplacer de plusieurs kilomètres par an, autant certaines petites plantes n’ont pas de stratégie de dispersion de leurs graines sur de longues distances car elles n’en ont jamais eu « besoin » auparavant. Toutes les espèces qui ne peuvent pas migrer vite et loin sont donc extrêmement menacées par le réchauffement climatique. Le deuxième problème est la fragmentation des milieux naturels. En effet, nous avons la fâcheuse tendance à prendre beaucoup de place dans notre environnement et notamment à découper les habitats naturels par des routes, des chemins, des villes, des voies de chemin de fer, des champs agricoles etc. Les habitats sont donc réduits et isolés les uns des autres. La fragmentation affecte chaque espèce différemment, prenons un exemple pour bien comprendre : une route qui passe dans une forêt. Cela n’a l’air de rien, pourtant l’impact sur la mobilité des animaux est important. Les oiseaux ne sont pas/peu impactés par cette route puisqu’ils volent, les gros mammifères peuvent la traverser sans trop de soucis mais risquent de se faire percuter. En revanche, les petits mammifères (hérisson par exemple), les gastéropodes (escargots), les amphibiens (tritons), certains insectes ou les reptiles vont être beaucoup plus sensibles et la route peut représenter une barrière infranchissable. De plus, nos infrastructures s’accompagnent de nuisances sonores, lumineuses et olfactives si bien que plusieurs centaines de mètres autour d’une route sont inhabitables pour la majorité de la faune, réduisant virtuellement encore plus les habitats naturels « habitables ». Quel est le lien avec la migration des espèces ? Et bien les habitats naturels sont aujourd’hui tellement isolés et mal connectés que même si les espèces étaient en capacité de migrer rapidement, toutes ne le pourraient pas car il n’y a pas de chemins naturels qui permettent leur déplacement. Vous voyez le piège ?

Schéma illustrant la disparition des espèces qui vivent au cœur des habitats naturels à cause de la fragmentation de cet habitat. Source : rapport sur les continuités écologiques de l’Isère.

Aujourd’hui la biodiversité est déjà menacée par la disparition des milieux naturels, les pollutions, la surexploitation des organismes et le développement des espèces exotiques invasives. La disparition des espèces mesurée actuellement est similaire à celle qui a suivie la chute de la météorite qui a tué les dinosaures (entre-autre). Nous sommes donc la météorite de la biodiversité actuelle, félicitations. Il a été mesuré qu’une espèce sur 7 dans le monde est menacée d’extinction. Mais le changement climatique n’est pas vraiment la cause de l’état actuel de la biodiversité puisqu’il n’est perceptible que depuis quelques décennies. Il va donc simplement ajouter une contrainte, une menace supplémentaire sur la biodiversité, et pas des moindres !

Les espèces qui ne pourront pas migrer ou s’adapter risquent de disparaître, de même que celles qui vivent dans des habitats rares et menacés comme les zones humides (que nous avons asséchées à 80-90% en France pour irriguer nos champs agricoles). Vous savez maintenant qu’il existe des intéractions très fortes entre toutes les espèces de la biosphère et une menace aussi importante que le changement climatique va forcément entraîner des disparitions en chaîne dans les réseaux trophiques (le prédateur disparaît car moins de proies, le pollinisateur car sa plante a disparu etc.). L’apparition de nouvelles maladies ou espèces exotiques invasives/nuisibles est aussi favorisée par un climat qui se réchauffe. Nous avons un bel exemple avec le moustique tigre qui est maintenant bien implanté dans la moitié sud de la France et qui peut à terme transmettre plusieurs maladies mortelles pour l’homme. Enfin, la disparition de plusieurs espèces peut aussi entraîner la disparition des fonctions des écosystèmes (voir cet article pour plus d’informations).

L’impact du réchauffement climatique sur la biodiversité commence à être perceptible chez nous en France métropolitaine. Nous l’avons déjà dit, les glaciers fondent et les espèces montent en altitude ou en latitude pour chercher de la fraîcheur. Mais des changements à plus large échelle commencent à s’observer. Depuis quelques années dans le Jura, les hêtres (Fagus sylvatica) ne supportent plus les chaleurs estivales couplées à la sécheresse et à de nouvelles maladies qui les ravagent. Ils « grillent » littéralement depuis plusieurs étés et risquent de mourir définitivement dans quelques années. Il est probable que des écosystèmes entiers se réarrangent vers un nouvel état d’équilibre où les espèces dominantes sont différentes (par exemple une forêt de chênes à la place du hêtres, de pins sylvestre au lieu d’épicéas etc.). Mais ces réarrangements prennent du temps, beaucoup de temps et les écosystèmes peuvent aussi complètement changer si le réchauffement est trop brusque : une forêt peut se transformer en prairie par exemple (qui stocke moins de carbone au passage). La distribution des espèces mute et le paysage risque de changer.

Une forêt touchée (photo Valentin Queloz, WSL).
Cette photo n’a pas été prise en Octobre mais en Juillet dans le Jura suisse. Source : https://www.rts.ch/info/regions/jura/10510203-secheresse-et-parasites-mettent-les-forets-jurassiennes-en-peril.html

Bref, autant nous pouvons à peu près prévoir les températures et les grandes lignes du climat futur, autant leurs conséquences concrètes sur la biodiversité sont difficiles à cerner tant les interactions sont nombreuses. Néanmoins, le changement climatique représente une pression supplémentaire sur la biodiversité déjà largement menacée. Je vous laisse quelques liens pour aller plus loin sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité : définition, menaces et protection de la biodiversité (en 3 parties) ; la biodiversité va mal, en quoi cela nous concerne ?

Vers quoi se dirige-t-on aujourd’hui ?

La trajectoire actuelle serait de l’ordre de +4-5°C d’ici à 2100, avec une augmentation des températures qui va évidemment continuer après 2100 si nous ne faisons rien. Les scientifiques modélisent depuis de nombreuses années le climat futur. Cela représente un exercice compliqué car beaucoup de paramètres entrent en jeu : la concentration des gaz à effet de serre (évidemment), les capacités du système à s’auto-réguler, les boucles et événements naturels qui peuvent accentuer ou diminuer le réchauffement, le hasard joue aussi un rôle, mais aussi notre capacité à faire quelque chose ou non. Ci-dessous vous trouverez des modèles (très) récents produits par les climatologues. Tous ces modèles ont été revus à la hausse par rapport à leur version précédente car tout semble aller plus vite que ce que l’on avait prédit jusque là. Vous voyez qu’en fonction des modèles, nous pourrions être à +1.5 ou +5.5°C avant la fin du siècle et je le répète une nouvelle fois, cette augmentation ne s’arrête pas par magie en 2100, les températures continueront à augmenter tant qu’il y a des gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère.

Toutes les explications de ces modèles ici en anglais : https://www.carbonbrief.org/cmip6-the-next-generation-of-climate-models-explained

Nous voyons sur cette figure des rectangles avec un point qui représente la moyenne puis des valeurs un peu plus hautes et un peu plus basses, c’est l’intervalle de confiance. On ne peut pas être certain qu’il fera exactement +3.3°C si l’on suit scénario gris, mais on peut être sûr qu’il fera en gros entre +2.0 et +4.3°C.

Les scénarios les plus optimistes sur la gauche considèrent que nous prenions très rapidement des mesures pour lutter contre le réchauffement climatique afin de stabiliser la température autour de +2°C. Vous remarquerez que le scénario tout à fait à gauche est celui qui représente ce qui a été annoncé lors des accords de Paris. Il stipule en gros que nous dépasserions +2°C durant la moitié du siècle, mais qu’ensuite nous développerions une stratégie pour re-capturer du carbone dans l’atmosphère pour rapidement baisser la température. C’est à dire laisser la forêt reprendre sa place sur la planète pour stocker le carbone. Vous voyez donc combien ce scénario est peu probable car pour le moment les forêts disparaissent de la planète, et un arbre ne poussant pas en quelques années, nous devrions déjà être en train de massivement reforester la planète si nous souhaitions vraiment atteindre cet objectif. À l’inverse, tout à fait à droite, se trouvent les deux scénarios les plus pessimistes où nous continuons notre vie exactement comme nous le faisons jusqu’à maintenant (« business as usual ») avec des niveaux de développement des pays « pauvres » variables. Nous avons donc un gradient avec d’un côté : beaucoup de mesures prises rapidement + de la recapture de CO2, et de l’autre : rien de plus que ce que nous faisons déjà.

Il y a fort à parier que nous nous retrouverons donc dans un des modèles au centre-droit, c’est à dire le gris (dans le meilleur des cas), le jaune (probablement) voire le orange si nous continuons à remettre le soucis du climat au mandat suivant. Mais du coup, quelles peuvent être les répercussions d’un climat à +5°C ? Difficile à dire, mais en regardant les climats passés, on peut avoir une idée de l’ampleur des changements à venir.

Les grandes glaciations voient le climat se bouleverser de quelques degrés sur des milliers d’années et pour autant, beaucoup d’espèces n’arrivent pas à s’adapter et s’éteignent naturellement (notamment toute la mégafaune d’Eurasie et d’Amérique, que l’on a semble-t-il aider un peu à rayer de la carte en la chassant). Lors de la dernière glaciation, le climat s’est refroidit en moyenne de -5°C (avec un pic autour de -7-8°C), et l’Europe ressemblait à l’image ci-dessous : toute l’Europe du Nord est un glacier, la Suisse est recouverte de plusieurs centaines de mètres de glaces, ainsi que les Alpes, les Savoies, une partie de l’Isère, de l’Ain et de la Drôme, et des océans 120m plus bas qu’aujourd’hui permettant de se rendre à pied au Royaume-Unis (dont le Nord est aussi sous la glace). Que pourrait-il se passer si nous atteignons +5°C en quelques décennies en suivant la trajectoire actuelle ?

File:Weichsel-Würm-Glaciation.png
Dernier maximum glacière il y a environ 20’000 ans où le climat était 5°C plus frais qu’aujourd’hui. source : Wikipedia

Nous savons que le réchauffement climatique ne va pas avoir la même intensité partout sur la planète, ni les mêmes conséquences. +5°C en moyenne, cela signifie +8°C sur les continents car la terre chauffe plus vite que l’eau. Cela signifie aussi +10°C voire plus au niveau des hautes et basse latitudes car les pôles chauffent aussi plus rapidement que l’équateur. Comme mentionné plus haut et illustré avec la figure ci-dessous, de grands changements d’écosystèmes sont à prévoir d’ici la fin du siècle.

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Avec un réchauffement compris entre 2 et 6°C (scénario moyen), la végétation d’Amérique du Sud est vouée à largement changer d’ici à la fin du siècle, peu importe les modèles utilisés. On observe notamment la réduction drastique de la forêt tropicale pour laisser place à de la savane. Pour rappel, les forêts, en plus de représenter l’habitat le plus riche en espèces de la planète, sont des puits naturels du CO2 atmosphérique. La déforestation accélère et favorise leur disparition dans un contexte de réchauffement du climat, et donc favorise une accélération du réchauffement (boucle de rétroaction positive). Source : https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2007GL029695

Ce que nous a appris la crise du coronavirus

La crise sanitaire et surtout le confinement d’une partie du monde (celle qui pollue le plus) a permis de baisser les rejets de CO2. Ce sera une des rares années où le CO2 émis ne va pas être un record et surtout la première année où nous respecterons les accords de Paris à l’échelle globale. Cette année, le jour du dépassement de la terre a même gagné 3 semaines, youpi !

Nous devrions observer cette année une baisse des émissions d’environ 4 à 6%. C’est à la fois beaucoup, et pas tant que ça. Nous parlons en effet d’une baisse des émissions de CO2 et absolument pas une baisse de la concentration de CO2 dans l’atmosphère qui elle continue largement d’augmenter et qui est le seul facteur à avoir un impact sur le réchauffement climatique. Ce n’est pas parce que vous jetez votre poubelle tous les 3 jours plutôt que tous les 2 jours que vos déchets ne vont pas s’accumuler dans la rue. Ce chiffre montre aussi que l’impact réel de cette crise sanitaire et des mesures qui ont été prises n’est finalement pas si grand. Nous avions l’impression que le monde était à l’arrêt, les individus ne pouvaient pas sortir de chez eux pendant 2 mois, les entreprises majoritairement fermées et pourtant sur l’année, nous n’observons qu’une variation de quelques pourcentages des émissions de CO2. Cela est évidemment dû au fait que nous n’avons pas tous été confinés sur la planète et que nous n’avons pas été confiné plus de quelques semaines sur une année. Au moment de la crise en revanche, les émissions ont parfois chuté de 20% par rapport à 2019 avec des variations importantes entre les secteurs, pays etc (voir figures ci-dessous).

figure4
Alors que globalement les émissions journalières de CO2 ont baissé dans tous les secteurs, les émissions dues à la production d’électricité (residential) sont restées stables, voire ont légèrement augmenté pendant le confinement. Source : https://www.nature.com/articles/s41558-020-0797-x/figures/3
Fig. 3
Baisse des émissions de CO2 de l’année 2020, calculée au mois de Mai 2020. Attention, une nouvelle fois nous parlons d’émission et donc de la quantité rejetée quotidiennement dans l’atmosphère, on ne parle absolument pas de concentration de CO2 qui elle continue d’augmenter et qui est le seul paramètre à avoir un effet sur le réchauffement. Source : https://www.nature.com/articles/s41558-020-0797-x/figures/3

Cela signifie que la mise à l’arrêt de notre système économique peut largement faire baisser les émissions de CO2, rapidement et efficacement. Si nous souhaitons limiter les effets du réchauffement climatique à +2°C en suivant les accords de Paris, il faudrait être en mesure de d’avoir une baisse similaire sur la quantité rejetée de CO2 tous les ans. Pour que vous compreniez bien ce que cela implique, il faudrait un confinement identique à celui de 2020 supplémentaire tous les ans. Et oui, car cette année nous avons baissé nos émissions de 5% (environ) par rapport à 2019. Mais l’année prochaine, il nous faudra baisser de 5% nos émissions par rapport à 2020, où nous avons déjà eu un confinement. Il faudrait donc 2 confinements en 2021, 3 confinements en 2022 etc.

Vu la crise économique actuelle résultant de cette baisse infime des émissions de CO2, il est totalement invraisemblable d’imaginer répéter et doubler cela l’année prochaine. C’est économiquement impossible, et pourtant, c’est pour le moment la seule option fonctionnelle. Cela démontre parfaitement combien tout notre système économique est dépendant de la consommation et donc des émissions de CO2. Le baril de pétrole a même été « gratuit » durant le confinement suite à l’effondrement de la demande (et à la gue-guerre des pays producteurs). Nous sommes donc loin, très loin de pouvoir assumer les efforts titanesques qu’il faudrait mettre en place si nous souhaitions réellement changer notre impact sur le climat, à moins de sacrifier l’économie telle que nous la connaissons. Nous n’arrêterons pas le réchauffement climatique.

Pour terminer sur une note négative

Même si nous arrivons par une méthode inconnue à baisser nos émissions de CO2 jusqu’à la neutralité en 2050 et que nous limitons le réchauffement climatique à +2°C, cela ne veut pas dire que tout sera parfait pour autant. Une bonne partie du CO2 rejeté dans l’atmosphère aujourd’hui y restera des centaines, voire des milliers d’année. Nous influons donc actuellement sur le climat à long terme de notre planète !

D’un point de vue climatique, un monde à +2°C est très différent d’un monde à +1°C comme il l’est actuellement, et les changements prennent généralement du temps à être perceptibles à cause de la résilience des systèmes. +2°C c’est déjà une avancée des déserts, une désertification des alentours de la méditerranée, des longues périodes de sécheresse, des orages et phénomènes météorologiques violents plus fréquents (inondations, grêle vent violent voire tornades comme en Italie fin Août 2020), des canicules encore plus extrêmes en été etc.

D’un point de vue plus sociétal, réussir à rester sous les +2°C ne va pas être une partie de plaisir. Il ne faut pas croire que nous pouvons limiter notre impact climatique sans drastiquement changer nos habitudes. En vrac, cela signifie moins d’importations en tous genres : nourriture, électroménager, gadgets & technologies comme les smartphones, les ordinateurs, voitures etc. Cela signifie ne plus manger autant de bananes/d’avocats cultivés à l’autre bout du monde, ne plus acheter d’appareils électroniques neufs, ne pas jeter mais réparer ces mêmes appareils, ne pas changer de téléphone ou d’ordinateur tous les ans, ne plus acheter sur des gros sites à l’emprunte carbone désastreuse (Amazone par exemple) et la liste est longue. Mais cela signifie aussi une réduction drastique des voyages en avion, quasiment plus de déplacements en voiture, moins de confort (chauffage etc.) et beaucoup moins de consommation de manière globale.

Comme le dit J-M. Jancovici, cela revient à diviser par environ 6 la consommation individuelle de pétrole par rapport à la génération précédente, car nous sommes plus nombreux, nous avons accès à une quantité effroyable de technologie avec une emprunte carbone terrifiante, nous voyageons beaucoup plus, nous sommes déjà habitués à un confort gourmand en énergies fossiles et on nous pousse toujours plus à la consommation plutôt qu’à la sobriété. Cela vous paraît jouable ? Bof…

Evidemment, ce ne sont pas les plus pauvres qui consomment le plus. Néanmoins, les citoyens européens sont parmi les plus riches relativement au reste du monde et surtout parmi les plus gros consommateur et pollueur car nous délocalisons la majorité de notre pollution vers d’autres pays (au pif, la Chine) en important leurs produits. En réalité, et aussi terrible que cela puisse paraître car il est toujours plus facile de dire aux autres de changer, c’est à nous tout-e-s de faire le maximum d’efforts, même les plus modestes.

figure3
Même si l’on respectait les accords de Paris et que l’on maintenait la température globale en dessous de +2°C, de larges zones notamment tropicales deviendraient tout bonnement inhabitables pour les humains (second graphique RCP 2.6). Si nous continuons sur notre lancée, c’est toute la ceinture tropicale qui sera invivable (graphique du bas RCP 8.5). Source : https://www.nature.com/articles/nclimate3322?dom=prime&src=syn

Histoire de finir sur une touche positive (quand même), la crise sanitaire nous a montré qu’il était possible de créer de l’argent sans trop de problèmes et un investissement massif et rapide vers une réelle transition énergétique est une nécessité absolue. Nous avons aussi vu que nous pouvions accepter des mesures contraignantes face à l’urgence et il faudra nécessairement mettre en place des restrictions pour limiter notre consommation. Par exemple, nous pourrions avoir des seuils individuels d’émission de CO2 à ne pas dépasser qui prendraient en compte les voyages, les transports mais aussi nos biens de consommation. J’aime beaucoup cette idée de « seuil individuel » carbone à ne pas dépasser car ce serait une restriction universelle plus juste qu’une taxe qui ne changera rien (les pauvres qui ne consomment rien consommeront moins, et les riches qui peuvent payer la taxe continueront à polluer).

Sachant que le pétrole commence de toutes manières à manquer, ces changements profonds se feront de gré ou de force, plus nous nous y prenons tôt, plus nous pouvons nous adapter tranquillement, moins le climat se réchauffe, plus se sera facile. En effet, il y a fort à parier que nous limiterons nos émissions lorsque le pétrole deviendra trop cher. Je vous laisse d’excellentes vidéos qui m’ont beaucoup inspirées si vous souhaitez creuser le sujet :

Le Réveilleur et les climats passés, n’hésitez pas à regarder ses vidéos qui décortiquent le changement climatique, c’est long et difficile à comprendre pour le commun des mortelles mais il vulgarise très bien l’information scientifique : https://www.youtube.com/watch?v=NRdaPrMNrkI

Quelques conférences de J-M Jancovici qui a une vision très éclairée sur le CO2, l’énergie, notre société et le changement climatique: https://www.youtube.com/watch?v=UM3EW01_PUY ; https://www.youtube.com/watch?v=v8qGglY_jM4 . Les deux conférences sont similaires mais l’une est plus détaillée que l’autre.

Enjoy !