La crise du coronavirus, aussi terrible soit-elle, nous a démontré plusieurs choses : il est possible de prendre des mesures radicales en quelques jours, il est possible de créer beaucoup d’argent pour répondre à un problème urgent, et surtout, l’arrêt de la consommation et de la production entraînent une chute importante des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons tou-te-s vu ces vidéos d’animaux qui reprennent possession de l’espace laissé à l’abandon par les humains durant le confinement, ainsi que ces images satellites montrant la chute du niveau d’émission de CO2. Pour autant, même si nous avions un confinement identique tous les ans, nous n’arriverions même pas à limiter le réchauffement sous la barre symbolique des +2°C. Autrement dit, nous nous sommes rendus compte de l’étendu de notre impact sur le climat, mais surtout des efforts titanesques à mettre en place pour le limiter.
Cet article est assez long et dense mais j’ai souhaité le laisser en une seule partie pour mieux montrer les liens entre les différents chapitres. Nous allons tout d’abord faire un bilan de la température moyenne annuelle de ces dernières années pour bien se remémorer combien le climat change, en chiffre. Ensuite, nous discuterons rapidement de l’impact du changement climatique sur la biodiversité, même si ce thème a déjà été abordé dans plusieurs articles du site. Nous verrons ensuite quel est la trajectoire actuelle du réchauffement et nous terminerons par les éléments que la crise a mis en lumière. Vous trouverez à disposition beaucoup de références, n’hésitez pas à aller vérifier les chiffres par vous-même et à approfondir le sujet en regardant les quelques vidéos dans la conclusion. Le sujet est évidemment vaste et je ferai quelques raccourcis.
Le réchauffement en chiffres
Je ne vais pas revenir sur la véracité ou non du changement climatique qui, je le rappelle, n’a rien d’une opinion personnelle ; c’est un processus météorologique aujourd’hui bien compris. Je vais néanmoins vous donner quelques chiffres brutes issues de sources sérieuses pour que vous réalisiez l’ampleur de l’accélération du réchauffement climatique. Pour consulter ces chiffres, c’est ici : https://www.noaa.gov/news/2019-was-2nd-hottest-year-on-record-for-earth-say-noaa-nasa, ici : http://www.meteofrance.fr/actualites/78484941-monde-plus-d-extremes-en-2020-apres-une-annee-2019-exceptionnelle et ici : http://www.meteofrance.fr/actualites/78251648-france-2019-au-3e-rang-des-annees-les-plus-chaudes
• 2019 a été l’une des années les plus chaudes en France (3e avec +1.1°C) et dans le monde (2e) précédée de peu par 2016 (0.04°C plus chaude) et suivie de 2015, 2017 et 2018. À l’échelle de l’Europe, 2019 est l’année la plus chaude jamais enregistrée (+1,24°C).
• La température moyenne annuelle approche déjà +1°C par rapport aux températures pré-industrielles, 0.95°C exactement pour 2019, avec des conséquences déjà visibles et mesurables, par exemple en Suisse : il fait +2°C par rapport au début des mesures en 1864 (il fait globalement plus chaud sur les continents qu’au dessus des océans), le nombre de jours de neige a été divisé par 2 depuis 1970, l’ensoleillement à augmenté de 20% depuis 1980, les vagues de chaleur ont triplé en un peu plus de 100 ans, les glaciers ont perdu 60% de leur volume (ou de leur masse) en 150 ans (source météosuisse).
• Les 5 années les plus chaudes ont été mesurées depuis 2015 et les 20 années les plus chaudes ont été mesurées dans les 21 dernières années (1999-2019). On a donc de plus en plus de probabilité de battre des records de chaleur, ce qui souligne bien l’accélération du réchauffement. Dans la même veine, les 43 dernières années sont toutes plus chaudes que la moyenne pré-industrielle, que ce soit dans l’air ou les océans.
• Explosion des records de température en Europe en 2019, notamment en France et en Allemagne, beaucoup de catastrophes naturelles et notamment des super-incendies partout sur la planète, une accélération de la fonte de l’Antarctique, un record d’augmentation du niveau de la mer et de son acidification.
• Il y a eu un déficit de précipitations allant de 20 à 30% du territoire français avec une augmentation des phénomènes brutaux (orages) qui permettent mal l’absorption de l’eau dans les sols. L’été 2019 ayant été particulièrement sec et chaud, nous avons un bel exemple de ce à quoi pourrait ressembler le climat en métropole d’ici quelques décennies, un climat de type « méditerranéen ». http://www.meteofrance.fr/actualites/79551843-humidite-des-sols-une-saison-marquee-par-un-deficit-des-precipitations

- L’année 2020 semble bien partie pour entrer dans le top 5 des années les plus chaudes depuis le début des mesures. L’année commence avec l’hiver le plus chaud jamais enregistré en France métropolitaine (+ 2,7°C) caractérisé par une absence de vague de froid et un ensoleillement particulièrement important. Au niveau mondial, Février et Mars ont été les 2e plus chauds jamais enregistrés. https://www.noaa.gov/news/earth-had-its-2nd-hottest-march-on-record
- Le printemps n’est pas mieux car nous observons un mois d’Avril et de Mai parmi les plus chauds en France métropolitaine mais aussi au niveau mondial (https://www.noaa.gov/news/april-2020-was-earth-s-2nd-hottest-april-on-record). Le printemps 2020 est le printemps le plus chaud jamais enregistré en France avec des écarts à la normal locaux de plus de 5°C. Le mois de Juin a été le 3e plus chaud, celui de Juillet le second au niveau mondial (https://www.ncei.noaa.gov/news/global-climate-202006) et l’étendu de la glace en Arctique n’a jamais été aussi petite : il y a environ 25% moins de glace que la moyenne mesurée entre 1980 et 2010 (https://www.ncei.noaa.gov/news/global-climate-202007). La période Janvier-Juillet 2020 est la plus chaude en France métropolitaine depuis le début des mesures (http://meteofrance.com/actualites-et-dossiers/actualites/climat/debut-dannee-janvier-juillet-le-plus-chaud-jamais-observe-en) et la seconde plus chaude au niveau mondial (http://meteofrance.com/actualites-et-dossiers/actualites/la-une/climat-le-premier-semestre-2020-au-2e-rang-des-plus-chauds).

Bon il n’est pas nécessaire de vous assommer avec plus de chiffres, vous avez compris l’idée. Pour terminer cette section je voudrais rappeler une chose très importante. Comme une vague de froid ne prouve en rien que le réchauffement climatique n’existe pas (argument favoris des climatosceptiques de comptoirs ou des présentateurs de Cnews), une vague de chaleur ou un record de chaleur isolé ne prouve en rien qu’il existe. Il faut bien faire la distinction entre le climat, qui est un phénomène global, et la météo qui est un phénomène très localisé. En revanche, la multiplication et l’accélération des phénomènes météorologiques extrêmes comme les canicules et les records de chaleur représentent une preuve du réchauffement climatique ! Pour rappel, nous observons rarement (voire jamais ?), des records de fraîcheur ces dernières années, alors que nous explosons tous les ans des records de chaleur. Par exemple, ce mois de Juillet 2020 a été le 427 mois consécutifs (plus de 35 ans !!) pour lequel les températures moyennes sont supérieures à la normale au niveau global. On ne parle donc pas d’un événement épisodique, mais bien d’un réchauffement profond de notre climat. Enfin, il faut bien comprendre que les températures représentent une moyenne mondiale, il peut évidemment faire plus froid dans certaines zones, comme cet été en Irlande (http://meteofrance.com/actualites-et-dossiers/actualites/planete/irlande-une-annee-sans-ete)
Quelles conséquences pour la biodiversité et l’humain ?
Le changement climatique est un problème pour la biodiversité mais aussi pour l’homme lui-même. De nombreuses régions, concentrées dans la zone intertropicale, vont voir leur habitabilité drastiquement diminuée à cause de la chaleur. Mais ce n’est pas tout, il est probable que certaines régions n’aient plus accès à des ressources suffisantes en eau pour vivre ou faire de l’agriculture, ce qui étend encore les régions invivables. Selon les estimations et en fonction des scénarios de changement climatique, on pourrait s’attendre à un demi milliard de migrants climatiques d’ici la fin du siècle.
La carte ci-dessous provient d’un article scientifique qui souhaitait regarder l’évolution de l’habitabilité de notre planète en ne se basant que sur la température. La première carte représente l’habitabilité actuelle et la seconde celle en 2070 si nous ne changeons pas drastiquement de cap dans nos émissions de CO2. Les zones en bleu sombre sont faciles à vivre, les zones en blanc non. Les auteurs ont regardé la température uniquement et non le développement ou les infrastructures des pays. La carte du bas montre les changements observés entre l’habitabilité actuelle et future. En vert les zones qui gagnent en habitabilité représentent généralement des régions froides qui vont se réchauffer (et avoir des hiver plus doux donc plus vivables). En rouge, les zones perdent en habitabilité. On voit notamment que toute la ceinture tropicale va devenir moins habitable qu’elle ne l’est actuellement, mais aussi l’Espagne, une partie de l’Italie et probablement le sud de la France.

La biodiversité va aussi souffrir de ce changement brusque de température. Il y a déjà eu des changements climatiques par le passé, mais ces changements s’étalaient sur des dizaines de milliers d’années pour les plus rapides. Il existe deux méthodes à disposition des espèces pour survivre : migrer ou s’adapter. L’adaptation est possible si la diversité génétique est suffisamment importante et si les changements climatiques ne sont pas trop brutaux & intenses car c’est un processus long. Autant vous dire que l’adaptation est peu crédible dans notre contexte actuel vu la rapidité des changements et l’état de la diversité génétique des populations sauvages. La seconde solution est la migration, c’est-à-dire d’aller chercher des zones plus favorables sans spécialement s’adapter au nouveau climat. Par exemple, s’il fait plus chaud, les espèces ont tendance à remonter en latitude ou en altitude. On observe déjà ce phénomène actuellement : les glaciers fondent et les plantes colonisent les terres libérées en altitude, de même, certaines espèces méditerranéennes remontent doucement la France car le climat y devient favorable. Bientôt les cigales à Paris ? Pas vraiment…
Deux problèmes majeurs entravent la migration des espèces. Le premier est le temps nécessaire à cette migration. Même si le déplacement des espèces est plus rapide que leur adaptation, toutes ne sont pas armées de la même manière pour migrer. Autant certains animaux peuvent se déplacer de plusieurs kilomètres par an, autant certaines petites plantes n’ont pas de stratégie de dispersion de leurs graines sur de longues distances car elles n’en ont jamais eu « besoin » auparavant. Toutes les espèces qui ne peuvent pas migrer vite et loin sont donc extrêmement menacées par le réchauffement climatique. Le deuxième problème est la fragmentation des milieux naturels. En effet, nous avons la fâcheuse tendance à prendre beaucoup de place dans notre environnement et notamment à découper les habitats naturels par des routes, des chemins, des villes, des voies de chemin de fer, des champs agricoles etc. Les habitats sont donc réduits et isolés les uns des autres. La fragmentation affecte chaque espèce différemment, prenons un exemple pour bien comprendre : une route qui passe dans une forêt. Cela n’a l’air de rien, pourtant l’impact sur la mobilité des animaux est important. Les oiseaux ne sont pas/peu impactés par cette route puisqu’ils volent, les gros mammifères peuvent la traverser sans trop de soucis mais risquent de se faire percuter. En revanche, les petits mammifères (hérisson par exemple), les gastéropodes (escargots), les amphibiens (tritons), certains insectes ou les reptiles vont être beaucoup plus sensibles et la route peut représenter une barrière infranchissable. De plus, nos infrastructures s’accompagnent de nuisances sonores, lumineuses et olfactives si bien que plusieurs centaines de mètres autour d’une route sont inhabitables pour la majorité de la faune, réduisant virtuellement encore plus les habitats naturels « habitables ». Quel est le lien avec la migration des espèces ? Et bien les habitats naturels sont aujourd’hui tellement isolés et mal connectés que même si les espèces étaient en capacité de migrer rapidement, toutes ne le pourraient pas car il n’y a pas de chemins naturels qui permettent leur déplacement. Vous voyez le piège ?

Aujourd’hui la biodiversité est déjà menacée par la disparition des milieux naturels, les pollutions, la surexploitation des organismes et le développement des espèces exotiques invasives. La disparition des espèces mesurée actuellement est similaire à celle qui a suivie la chute de la météorite qui a tué les dinosaures (entre-autre). Nous sommes donc la météorite de la biodiversité actuelle, félicitations. Il a été mesuré qu’une espèce sur 7 dans le monde est menacée d’extinction. Mais le changement climatique n’est pas vraiment la cause de l’état actuel de la biodiversité puisqu’il n’est perceptible que depuis quelques décennies. Il va donc simplement ajouter une contrainte, une menace supplémentaire sur la biodiversité, et pas des moindres !
Les espèces qui ne pourront pas migrer ou s’adapter risquent de disparaître, de même que celles qui vivent dans des habitats rares et menacés comme les zones humides (que nous avons asséchées à 80-90% en France pour irriguer nos champs agricoles). Vous savez maintenant qu’il existe des intéractions très fortes entre toutes les espèces de la biosphère et une menace aussi importante que le changement climatique va forcément entraîner des disparitions en chaîne dans les réseaux trophiques (le prédateur disparaît car moins de proies, le pollinisateur car sa plante a disparu etc.). L’apparition de nouvelles maladies ou espèces exotiques invasives/nuisibles est aussi favorisée par un climat qui se réchauffe. Nous avons un bel exemple avec le moustique tigre qui est maintenant bien implanté dans la moitié sud de la France et qui peut à terme transmettre plusieurs maladies mortelles pour l’homme. Enfin, la disparition de plusieurs espèces peut aussi entraîner la disparition des fonctions des écosystèmes (voir cet article pour plus d’informations).
L’impact du réchauffement climatique sur la biodiversité commence à être perceptible chez nous en France métropolitaine. Nous l’avons déjà dit, les glaciers fondent et les espèces montent en altitude ou en latitude pour chercher de la fraîcheur. Mais des changements à plus large échelle commencent à s’observer. Depuis quelques années dans le Jura, les hêtres (Fagus sylvatica) ne supportent plus les chaleurs estivales couplées à la sécheresse et à de nouvelles maladies qui les ravagent. Ils « grillent » littéralement depuis plusieurs étés et risquent de mourir définitivement dans quelques années. Il est probable que des écosystèmes entiers se réarrangent vers un nouvel état d’équilibre où les espèces dominantes sont différentes (par exemple une forêt de chênes à la place du hêtres, de pins sylvestre au lieu d’épicéas etc.). Mais ces réarrangements prennent du temps, beaucoup de temps et les écosystèmes peuvent aussi complètement changer si le réchauffement est trop brusque : une forêt peut se transformer en prairie par exemple (qui stocke moins de carbone au passage). La distribution des espèces mute et le paysage risque de changer.

Bref, autant nous pouvons à peu près prévoir les températures et les grandes lignes du climat futur, autant leurs conséquences concrètes sur la biodiversité sont difficiles à cerner tant les interactions sont nombreuses. Néanmoins, le changement climatique représente une pression supplémentaire sur la biodiversité déjà largement menacée. Je vous laisse quelques liens pour aller plus loin sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité : définition, menaces et protection de la biodiversité (en 3 parties) ; la biodiversité va mal, en quoi cela nous concerne ?
Vers quoi se dirige-t-on aujourd’hui ?
La trajectoire actuelle serait de l’ordre de +4-5°C d’ici à 2100, avec une augmentation des températures qui va évidemment continuer après 2100 si nous ne faisons rien. Les scientifiques modélisent depuis de nombreuses années le climat futur. Cela représente un exercice compliqué car beaucoup de paramètres entrent en jeu : la concentration des gaz à effet de serre (évidemment), les capacités du système à s’auto-réguler, les boucles et événements naturels qui peuvent accentuer ou diminuer le réchauffement, le hasard joue aussi un rôle, mais aussi notre capacité à faire quelque chose ou non. Ci-dessous vous trouverez des modèles (très) récents produits par les climatologues. Tous ces modèles ont été revus à la hausse par rapport à leur version précédente car tout semble aller plus vite que ce que l’on avait prédit jusque là. Vous voyez qu’en fonction des modèles, nous pourrions être à +1.5 ou +5.5°C avant la fin du siècle et je le répète une nouvelle fois, cette augmentation ne s’arrête pas par magie en 2100, les températures continueront à augmenter tant qu’il y a des gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère.
Nous voyons sur cette figure des rectangles avec un point qui représente la moyenne puis des valeurs un peu plus hautes et un peu plus basses, c’est l’intervalle de confiance. On ne peut pas être certain qu’il fera exactement +3.3°C si l’on suit scénario gris, mais on peut être sûr qu’il fera en gros entre +2.0 et +4.3°C.
Les scénarios les plus optimistes sur la gauche considèrent que nous prenions très rapidement des mesures pour lutter contre le réchauffement climatique afin de stabiliser la température autour de +2°C. Vous remarquerez que le scénario tout à fait à gauche est celui qui représente ce qui a été annoncé lors des accords de Paris. Il stipule en gros que nous dépasserions +2°C durant la moitié du siècle, mais qu’ensuite nous développerions une stratégie pour re-capturer du carbone dans l’atmosphère pour rapidement baisser la température. C’est à dire laisser la forêt reprendre sa place sur la planète pour stocker le carbone. Vous voyez donc combien ce scénario est peu probable car pour le moment les forêts disparaissent de la planète, et un arbre ne poussant pas en quelques années, nous devrions déjà être en train de massivement reforester la planète si nous souhaitions vraiment atteindre cet objectif. À l’inverse, tout à fait à droite, se trouvent les deux scénarios les plus pessimistes où nous continuons notre vie exactement comme nous le faisons jusqu’à maintenant (« business as usual ») avec des niveaux de développement des pays « pauvres » variables. Nous avons donc un gradient avec d’un côté : beaucoup de mesures prises rapidement + de la recapture de CO2, et de l’autre : rien de plus que ce que nous faisons déjà.
Il y a fort à parier que nous nous retrouverons donc dans un des modèles au centre-droit, c’est à dire le gris (dans le meilleur des cas), le jaune (probablement) voire le orange si nous continuons à remettre le soucis du climat au mandat suivant. Mais du coup, quelles peuvent être les répercussions d’un climat à +5°C ? Difficile à dire, mais en regardant les climats passés, on peut avoir une idée de l’ampleur des changements à venir.
Les grandes glaciations voient le climat se bouleverser de quelques degrés sur des milliers d’années et pour autant, beaucoup d’espèces n’arrivent pas à s’adapter et s’éteignent naturellement (notamment toute la mégafaune d’Eurasie et d’Amérique, que l’on a semble-t-il aider un peu à rayer de la carte en la chassant). Lors de la dernière glaciation, le climat s’est refroidit en moyenne de -5°C (avec un pic autour de -7-8°C), et l’Europe ressemblait à l’image ci-dessous : toute l’Europe du Nord est un glacier, la Suisse est recouverte de plusieurs centaines de mètres de glaces, ainsi que les Alpes, les Savoies, une partie de l’Isère, de l’Ain et de la Drôme, et des océans 120m plus bas qu’aujourd’hui permettant de se rendre à pied au Royaume-Unis (dont le Nord est aussi sous la glace). Que pourrait-il se passer si nous atteignons +5°C en quelques décennies en suivant la trajectoire actuelle ?

Nous savons que le réchauffement climatique ne va pas avoir la même intensité partout sur la planète, ni les mêmes conséquences. +5°C en moyenne, cela signifie +8°C sur les continents car la terre chauffe plus vite que l’eau. Cela signifie aussi +10°C voire plus au niveau des hautes et basse latitudes car les pôles chauffent aussi plus rapidement que l’équateur. Comme mentionné plus haut et illustré avec la figure ci-dessous, de grands changements d’écosystèmes sont à prévoir d’ici la fin du siècle.

Ce que nous a appris la crise du coronavirus
La crise sanitaire et surtout le confinement d’une partie du monde (celle qui pollue le plus) a permis de baisser les rejets de CO2. Ce sera une des rares années où le CO2 émis ne va pas être un record et surtout la première année où nous respecterons les accords de Paris à l’échelle globale. Cette année, le jour du dépassement de la terre a même gagné 3 semaines, youpi !
Nous devrions observer cette année une baisse des émissions d’environ 4 à 6%. C’est à la fois beaucoup, et pas tant que ça. Nous parlons en effet d’une baisse des émissions de CO2 et absolument pas une baisse de la concentration de CO2 dans l’atmosphère qui elle continue largement d’augmenter et qui est le seul facteur à avoir un impact sur le réchauffement climatique. Ce n’est pas parce que vous jetez votre poubelle tous les 3 jours plutôt que tous les 2 jours que vos déchets ne vont pas s’accumuler dans la rue. Ce chiffre montre aussi que l’impact réel de cette crise sanitaire et des mesures qui ont été prises n’est finalement pas si grand. Nous avions l’impression que le monde était à l’arrêt, les individus ne pouvaient pas sortir de chez eux pendant 2 mois, les entreprises majoritairement fermées et pourtant sur l’année, nous n’observons qu’une variation de quelques pourcentages des émissions de CO2. Cela est évidemment dû au fait que nous n’avons pas tous été confinés sur la planète et que nous n’avons pas été confiné plus de quelques semaines sur une année. Au moment de la crise en revanche, les émissions ont parfois chuté de 20% par rapport à 2019 avec des variations importantes entre les secteurs, pays etc (voir figures ci-dessous).


Cela signifie que la mise à l’arrêt de notre système économique peut largement faire baisser les émissions de CO2, rapidement et efficacement. Si nous souhaitons limiter les effets du réchauffement climatique à +2°C en suivant les accords de Paris, il faudrait être en mesure de d’avoir une baisse similaire sur la quantité rejetée de CO2 tous les ans. Pour que vous compreniez bien ce que cela implique, il faudrait un confinement identique à celui de 2020 supplémentaire tous les ans. Et oui, car cette année nous avons baissé nos émissions de 5% (environ) par rapport à 2019. Mais l’année prochaine, il nous faudra baisser de 5% nos émissions par rapport à 2020, où nous avons déjà eu un confinement. Il faudrait donc 2 confinements en 2021, 3 confinements en 2022 etc.
Vu la crise économique actuelle résultant de cette baisse infime des émissions de CO2, il est totalement invraisemblable d’imaginer répéter et doubler cela l’année prochaine. C’est économiquement impossible, et pourtant, c’est pour le moment la seule option fonctionnelle. Cela démontre parfaitement combien tout notre système économique est dépendant de la consommation et donc des émissions de CO2. Le baril de pétrole a même été « gratuit » durant le confinement suite à l’effondrement de la demande (et à la gue-guerre des pays producteurs). Nous sommes donc loin, très loin de pouvoir assumer les efforts titanesques qu’il faudrait mettre en place si nous souhaitions réellement changer notre impact sur le climat, à moins de sacrifier l’économie telle que nous la connaissons. Nous n’arrêterons pas le réchauffement climatique.
Pour terminer sur une note négative
Même si nous arrivons par une méthode inconnue à baisser nos émissions de CO2 jusqu’à la neutralité en 2050 et que nous limitons le réchauffement climatique à +2°C, cela ne veut pas dire que tout sera parfait pour autant. Une bonne partie du CO2 rejeté dans l’atmosphère aujourd’hui y restera des centaines, voire des milliers d’année. Nous influons donc actuellement sur le climat à long terme de notre planète !
D’un point de vue climatique, un monde à +2°C est très différent d’un monde à +1°C comme il l’est actuellement, et les changements prennent généralement du temps à être perceptibles à cause de la résilience des systèmes. +2°C c’est déjà une avancée des déserts, une désertification des alentours de la méditerranée, des longues périodes de sécheresse, des orages et phénomènes météorologiques violents plus fréquents (inondations, grêle vent violent voire tornades comme en Italie fin Août 2020), des canicules encore plus extrêmes en été etc.
D’un point de vue plus sociétal, réussir à rester sous les +2°C ne va pas être une partie de plaisir. Il ne faut pas croire que nous pouvons limiter notre impact climatique sans drastiquement changer nos habitudes. En vrac, cela signifie moins d’importations en tous genres : nourriture, électroménager, gadgets & technologies comme les smartphones, les ordinateurs, voitures etc. Cela signifie ne plus manger autant de bananes/d’avocats cultivés à l’autre bout du monde, ne plus acheter d’appareils électroniques neufs, ne pas jeter mais réparer ces mêmes appareils, ne pas changer de téléphone ou d’ordinateur tous les ans, ne plus acheter sur des gros sites à l’emprunte carbone désastreuse (Amazone par exemple) et la liste est longue. Mais cela signifie aussi une réduction drastique des voyages en avion, quasiment plus de déplacements en voiture, moins de confort (chauffage etc.) et beaucoup moins de consommation de manière globale.
Comme le dit J-M. Jancovici, cela revient à diviser par environ 6 la consommation individuelle de pétrole par rapport à la génération précédente, car nous sommes plus nombreux, nous avons accès à une quantité effroyable de technologie avec une emprunte carbone terrifiante, nous voyageons beaucoup plus, nous sommes déjà habitués à un confort gourmand en énergies fossiles et on nous pousse toujours plus à la consommation plutôt qu’à la sobriété. Cela vous paraît jouable ? Bof…
Evidemment, ce ne sont pas les plus pauvres qui consomment le plus. Néanmoins, les citoyens européens sont parmi les plus riches relativement au reste du monde et surtout parmi les plus gros consommateur et pollueur car nous délocalisons la majorité de notre pollution vers d’autres pays (au pif, la Chine) en important leurs produits. En réalité, et aussi terrible que cela puisse paraître car il est toujours plus facile de dire aux autres de changer, c’est à nous tout-e-s de faire le maximum d’efforts, même les plus modestes.

Histoire de finir sur une touche positive (quand même), la crise sanitaire nous a montré qu’il était possible de créer de l’argent sans trop de problèmes et un investissement massif et rapide vers une réelle transition énergétique est une nécessité absolue. Nous avons aussi vu que nous pouvions accepter des mesures contraignantes face à l’urgence et il faudra nécessairement mettre en place des restrictions pour limiter notre consommation. Par exemple, nous pourrions avoir des seuils individuels d’émission de CO2 à ne pas dépasser qui prendraient en compte les voyages, les transports mais aussi nos biens de consommation. J’aime beaucoup cette idée de « seuil individuel » carbone à ne pas dépasser car ce serait une restriction universelle plus juste qu’une taxe qui ne changera rien (les pauvres qui ne consomment rien consommeront moins, et les riches qui peuvent payer la taxe continueront à polluer).
Sachant que le pétrole commence de toutes manières à manquer, ces changements profonds se feront de gré ou de force, plus nous nous y prenons tôt, plus nous pouvons nous adapter tranquillement, moins le climat se réchauffe, plus se sera facile. En effet, il y a fort à parier que nous limiterons nos émissions lorsque le pétrole deviendra trop cher. Je vous laisse d’excellentes vidéos qui m’ont beaucoup inspirées si vous souhaitez creuser le sujet :
Le Réveilleur et les climats passés, n’hésitez pas à regarder ses vidéos qui décortiquent le changement climatique, c’est long et difficile à comprendre pour le commun des mortelles mais il vulgarise très bien l’information scientifique : https://www.youtube.com/watch?v=NRdaPrMNrkI
Quelques conférences de J-M Jancovici qui a une vision très éclairée sur le CO2, l’énergie, notre société et le changement climatique: https://www.youtube.com/watch?v=UM3EW01_PUY ; https://www.youtube.com/watch?v=v8qGglY_jM4 . Les deux conférences sont similaires mais l’une est plus détaillée que l’autre.
Enjoy !
Merci Arthur pour cet article fleuve, qui montre effectivement bien qu’il y a une urgence absolue à changer drastiquement le mode de production dans lequel nous vivons.
Je trouve cependant le ton assez pessimiste, ou pour être plus précis, dépolitisant, notamment dans la mesure où on pourrait croire que le dérèglement climatique est un véhicule sans pilote qu’il serait impossible de raisonner.
Il me semble qu’il y a encore de la marge de manœuvre pour « éviter le pire », et infléchir les courbes vers des scénarios plus vivables.
Plutôt que de parler d’arrêter le réchauffement climatique, il faudrait plutôt parler de mesure dans laquelle on peut limiter le réchauffement climatique, ce qui est une question éminemment politique, dont les réponses ne vont évidemment pas plaire à tout le monde …
Enfin, je finirais sur une proposition de lecture sur les origines industrielles du dérèglement climatique : https://www.editionsdivergences.com/le-capitalocene-darmel-campagne-pdf/
Salut Victor et merci pour ton commentaire plus qu’intéressant, comme d’habitude ! Je vais reprendre point par point tes remarques car je ne suis pas tout à fait d’accord.
Il y a effectivement une urgence à changer nos modes de production mais aussi de consommation. Autant il est « facile » de changer la production (disons dans une échelle de temps raisonnable) autant faire comprendre aux gens qu’à partir de maintenant la surconsommation n’est plus souhaitable risque d’être beaucoup plus compliqué et à l’encontre de ce dont on nous bassine depuis des décennies. Il y a tellement d’intéractions entre plein de facteurs qu’il est difficile de dire « il faut faire ci, il faut faire ça », mais ma conclusion est plutôt pessimiste effectivement. Déjà car aucune politique sérieuse n’est menée pour tenter de se détacher du pétrole qui va venir à manquer et qui pollue, mais aussi car je suis persuadé que les gens ne sont pas non plus prêts à changer leur quotidien. Les marges de manœuvres qui existent effectivement prennent en compte des efforts titanesques que nous ne sommes pour l’instant absolument pas capable d’assumer. Quand tu vois la crise économique et sociale qui suit un confinement de deux mois en France, comment veux-tu que l’on assume une diminution de la consommation et de la production à des échelles bien plus importante dans quelques années ? En regardant cela de manière objective je n’y crois pas tellement car les conséquences négatives sont trop nombreuses (chômage, augmentation des prix de la majorité des biens de consommation dont la nourriture, perte de confort et disparition d’activités en tout genre, arrêt des voyages ou de l’utilisation de la voiture individuelle etc.) ; ça n’aide pas à se faire élire !
Le titre est un peu putaclik et tu as raison de préciser que contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, l’idée n’est pas d’arrêter le réchauffement climatique qui est de toutes façons lancé et qui continuera pendant des décennies même si nous arrêtions les émissions de CO2 demain, mais plutôt de limiter la casse. Je ne voulais pas vraiment insister sur les solutions pour limiter le réchauffement (car tout n’est pas parfaitement clair dans ma tête à ce niveau) mais plutôt de présenter le problème tel qu’il est actuellement. Je pense que les gens n’ont absolument pas saisi l’étendu du problème qui est éminemment plus complexe qu’on ne le pense et je ne leur jette pas la pierre, je n’ai compris ça que très récemment et j’apprends toujours. Une fois cette étape franchie on peut commencer à penser aux solutions (individuelles ou globales). Mais comme je l’ai dis plus haut, ces solutions risquent de ne pas plaire à la classe politique et aux plus fortunés, mais aussi à la plèbe et aux classes moyennes. Du coup, est-ce que c’est légitime de prendre des solutions drastiques contre toute envie du peuple, même si c’est « pour leur bien » ? C’est une vraie question et j’ai pas la réponse. Mais quand je vois le foin que certains font avec l’obligation du port du masque, je me dis que l’on est pas prêt pour des mesures hautement plus dures que celle-ci.
Tout ça est très subjectif mais j’ai hâte de voir ton point de vue par rapport à tout ça. Merci pour le petit lien qui fit toujours plaisir, je vais zieuter ça 😉
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